Les ours polaires descendront-ils du Nord?

(Article bonifié -avec des références et des citations - depuis une première publication sur les réseaux sociaux)

L’ours polaire qui a été abattu en Gaspésie est un exemple de situation complexe avec le plus gros prédateur sur terre. Il faut rappeler que l’ours polaire est une espèce vulnérable due à la disparition des glaces de mer, mais il n’est ACTUELLEMENT pas en voie d’extinction. Il dépend de la présence de glace de mer pour chasser. C’est une espèce VULNÉRABLE et un SYMBOLE du réchauffement climatique, mais aucune personne n’est capable d’affirmer avec certitude s’il réussira ou non à s’adapter à la fonte des glaces. Déplacer un ours noir sur quelques dizaines de km est une chose et un ours polaire sur 1000 km en est une autre.

Vivre avec la présence d’ours polaire dans une communauté isolée dans la toundra et vivre avec la présence d’ours polaire sur un territoire densément peuplé sont deux choses différentes. Le Nunavik a une densité de population de 0,03 habitant/km2. Le nord du Manitoba a une des densités les plus faibles au Canada. La Gaspésie a une densité de 5 hab/km2, soit 250 fois celle du Nunavik. Il ne faut pas comparer des patates avec des carottes. Repousser un ours de quelques dizaines de km et le repousser de 500-1000 km sont deux enjeux de logistique et sécurité fort diffèrent, à la fois pour l’ours et pour les sauveteurs. Malgré ça, les Inuits vivent, pour la plupart avec le respect de l’ours, mais aussi avec la peur au ventre s’ils ne sont pas armés quand ils sortent du village. Ils ne tolèrent aucun ours à proximité d’un village.

Ours polaire abattu dans le village de Kangiqsualujjuaq par un jeune chasseur

Bien que nous ayons tous lu des évaluations de commentateurs passionnés, d'activistes voulant promouvoir leurs agendas ou de photographes animaliers ayant très peu d'expérience dans le Nord, capitaliser sur l'émotion de leur base d’admirateurs, je n’ai vu, jusqu’à maintenant, aucun réel expert ni scientifique habitués à l’anesthésie des ours polaires critiquer la décision qui a été prise en fonction des paramètres de la situation. Voici, entre autres un scientifique expliquant en fin d’entrevue comment il est complexe d’endormir un ours polaire et de le déplacer: 

«Quand on endort un ours dans le Nord, ce n'est pas dans un contexte où il y a des gens autour. (...) Le déplacer aurait été techniquement possible mais il faut être préparé, avec des équipements et des personnes spécialisées. Quand on fait un projet de recherche qui implique l'anesthésie d'ours polaire, on se prépare des mois à l'avance.» (Dominique Berteaux, professeur universitaire en écologie)

Une anesthésie ne dure que deux heures. Pour endormir un ours plus longtemps, il faut prévoir un respirateur et une équipe de réanimation. Même dans ce cas, une anesthésie assez longue pour permettre une relocalisation sur son territoire aurait été dangereuse pour l'ours et pour l'équipe de sauvetage. 

Réf: Le Devoir

C’est triste que cet ours se soit retrouvé si loin de son habitat et qu’il ait été abattu… comme il est triste qu’un ours polaire s’aventurant dans un village inuit le soit aussi. Mais ce n’est pas la première fois et sûrement pas la dernière qu’un ours se retrouvera près d’habitations humaines.

Comme l’explique sur son blogue, Susan Crockford, une zoologiste avec plus de 35 ans d'expérience, notamment des travaux publiés sur l'histoire holocène des animaux de l'Arctique;

«Les ours polaires du détroit de Davis sont en essor, leur nombre ayant augmenté de façon spectaculaire depuis les années 1970, en raison de l'interdiction de la chasse et de l'abondance des phoques du Groenland. Jusqu'à ces dernières années, les ours polaires du détroit de Davis n'avaient pas été aperçus aussi loin au sud au printemps depuis 1849 (avec quelques autres rapports historiques encore plus au sud dans les années 1500). (…) Ces observations récentes d'ours polaires dans le golfe du Saint-Laurent reflètent probablement une population qui a atteint sa taille maximale ou qui continue à augmenter. Malheureusement, vu l'endroit où il s'est retrouvé, il n'aurait probablement pas pu regagner la banquise qui se retire au large du Labrador à temps pour retourner dans le détroit de Davis pour l'été.»

La banquise dérive le long de la côte du Labrador, entraînant presque certainement avec elle les ours polaires du détroit de Davis. Et d'après les résultats d'une nouvelle enquête, ces ours se portent très bien : leur nombre est stable, ils sont plus gros qu'en 2007 et les oursons survivent bien, en grande partie grâce à l'abondance de phoques du Groenland.

(Ref: [https://cdnsciencepub.com/doi/10.1139/as-2018-0004])

Il y a des possibilités que d'autres ours polaires se retrouvent dans le golfe du Saint-Laurent. Comment devrons-nous gérer cette situation? Apprendre à vivre avec cet animal dans les environs, comme plusieurs personnes l'on mentionné? Oui, c'est une option.

« La rencontre possible avec Nanook n’est pas à prendre à la légère. Mais comme il est une source importante de nourriture, nous évaluons s’il est en bonne santé, son âge et si c’est une mère avec des petits. Si les conditions de s’approvisionner en nourriture tout en préservant nos futures prises sont présentes ou si nous sommes directement menacés, nous le tuons, » de dire Jani-Marik Beaulne, un jeune chasseur de 27 ans, de père Inuk et de mère Québécoise que j'avais interviewé pour mes récits journalistiques que l'on retrouve dans «Regards croisés». « Mais nous ne ressentons pas autant que “l’homme blanc” le besoin de contrôler notre destiné et notre environnement. Nous faisons partie, comme l’ours, du cercle de la vie. »

Êtes-vous prêts à ne sortir faire une promenade qu'en groupe armé? Comment dormirez-vous dans votre tente de camping en pensant qu'un ours polaire peut venir vous surprendre en pleine nuit? Vous devrez compter sur un bon chien habitué à ces rencontres pour vous alerter et un membre du groupe, armé et de veille. Et des fois c'est l'ours qui aura quand même son lunch. C'est comme ça que vivent les Inuits quand ils vont sur le territoire.

Alice Baron, Inuk de Kangiqsualujjuaq, attendant l'hélicoptère de secours après s'être fait attaquée par un ours polaire. 

Mais pour l'avenir, est-ce que l'ours polaire s'adaptera à un vie terrestre? Bien qu'il ait été documenté des individus hybrides provenant de la reproduction d'ours polaire avec le grizzly, il est peu probable qu'il puisse le faire avec l'ours noir, génétiquement trop éloigné. Donc la survie de l'ours polaire repose sur la présence de glace de mer. Bien que les aliments terrestres puissent potentiellement profiter à quelques individus d'une population locale, les ours polaires que l'on voit grignoter des sources de nourriture terrestres pendant l'été ne s'adaptent pas à long terme, ils font simplement de leur mieux pour survivre à court terme en attendant le retour de la glace et des phoques. Le lard est le seul aliment suffisamment riche en énergie pour maintenir les ours en vie et en bonne santé à long terme. Plus l'ours est gros, plus il a de chances de survivre à l'été et d'être en bonne santé et prêt à chasser à nouveau (et pour certaines femelles, à donner naissance à leurs petits) lorsque la glace de mer reviendra à la fin de l'automne. Sans glace de mer, il n'y aura pas d'ours polaires. Ni les ours ni leurs proies, les phoques, ne peuvent tolérer la perte continue de leur principal habitat. 

Ref: Thea Bechshoft , scientifique de Polar Bears International, basée à Aarhus, au Danemark. Elle a étudié les ours polaires au Groenland, en Norvège et au Canada.

Avant de faire un buzz médiatique avec une relocalisation à la logistique complexe et dangereuse, il vaudrait mieux faire des pressions pour que des politiques d'habitats protégés soient mises en place. C'est justement sur quoi les groupes comme WWF et Polar Bear International travaillent conjointement avec les populations inuites. Les solutions aux dérèglements climatiques sont avant tout politiques et reposent sur un changement de modèle économique planétaire.

Avant de critiquer ce qui aurait pu être fait pour sauver cet ours, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour diminuer la surconsommation. On sauvera peut-être plus d'ours… Qui parmi les «experts de salon» à s’être prononcé est prêt à faire des pressions auprès de ses députés ET à changer drastiquement son mode de vie? Levez la main!

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