Plaidoyer pour la culture du canot dans la réserve La Vérendrye
«(Les voyageurs forment la base) d'une race canadienne-française faite pour vivre au fond d’un canot, le nez au vent, ivre d’aventure »
Lionel Groulx, historien.
Le Québec est un territoire de voies d’eau qui a vu des générations de constructeurs de canots, dignes héritiers du savoir autochtones comme le célèbre César Newashish (« César et son canot », ONF, 1971) que j’ai eu la chance de connaître. Pendant 300 ans, nous avons formé un peuple de voyageurs et de coureurs de bois qui ont été à la base d’une « race canadienne-française (aujourd'hui on dirait plutôt "culture canadienne-française) faite pour vivre au fond d’un canot, le nez au vent, ivre d’aventure » (Lionel Groulx, historien, « Notre grande aventure », p. 228), puis, avec la société de loisirs naissante, qui était réservée aux riches, on nous a cantonnés à un rôle de guide pour les clients américains. Lorsque nous avons récupéré l’accès au territoire avec l’abolition des clubs privés, il y a eu une parenthèse dans les années 70. Cette génération d’adolescents et de jeunes adultes a vu apparaître un engouement pour les expéditions au long cours avant que l’industrie du plein air ne prenne les choses en main. À quelques exceptions près, comme les héritiers des « canoe-trippers » des années 70, les générations suivantes se sont graduellement transformées en clients.
La réserve faunique La Vérendrye est une anomalie dans le portrait des parcs et réserves au Québec. Bien que pas assez « réserve » au goût des environnementaliste, et défenseur de la protection de la nature sauvage car, contrairement à la croyance populaire et à la définition du mot réserve, il s’y pratique encore des coupes forestières, la réserve faunique La Vérendrye représente le dernier territoire à grande échelle réellement sauvage dans le sud du Québec.
J’ai appris récemment que la SEPAQ va reprendre la gestion de l’offre de canot-camping dans la réserve La Vérendrye à la place de « Canot Kayak Québec ».
Après avoir consulté la communauté des canots campeurs fréquentant la réserve La Vérendrye, j’ai rédigé une lettre à remettre à la SEPAQ, afin de présenter et valoriser le patrimoine, l’histoire et la culture du voyage par canot en régions sauvages qu’on retrouve dans la réserve, ainsi que les inquiétudes que la communauté a exprimées face à son avenir.
Voici le contenu de la lettre envoyée à la SEPAQ avec plus de 540 signataires:
Bonjour,
À la suite de l’annonce récente que la SEPAQ sera dorénavant responsable de l’offre de canot-camping dans la Réserve faunique La Vérendrye, plusieurs utilisateurs ont exprimé des inquiétudes. Cette lettre vise à présenter et valoriser le patrimoine, l’histoire et la culture du voyage par canot en régions sauvages qu’on retrouve dans la réserve, ainsi que d’exprimer les inquiétudes que la communauté a face à son avenir.
Le voyage de canot en arrière-pays nous permet de vivre en toute simplicité une connexion unique et authentique avec la nature sauvage, comme peu d’activités de plein air le permettent. Il permet de connecter autant avec notre humanité, notre histoire que notre «sauvagitude».
La réserve faunique La Vérendrye est un territoire sauvage et historique comme il n’en existe pas d’autres dans le sud du Québec. La communauté de canot-campeurs qui l’aime, l’entretient et la fréquente apprécie les caractéristiques uniques suivantes :
- Une accessibilité privilégiée autant via le bassin versant principal qu’à l’arrière-pays
- L’accès à un territoire réellement sauvage à large échelle et non à une enclave comme le sont la plupart des autres parcs et réserves, soit des centres récréatifs aménagés dans des îlots artificiels dont la nature est la toile de fond.
- Une facilité d’organisation, de location et de logistique d’accès à l’arrière-pays profond.
- La présence limitée d’infrastructures et d’embarcations à moteur ainsi que la qualité de l’eau qui en résulte.
- Un endroit exclusivement dédié au plein air à faible impact (canot ou barque de pêche) rendant les plans d’eau sécuritaires pour qui a le savoir-faire.
- Des aménagements minimaux qui demeurent simples dû à la faible présence humaine.
- La possibilité de changer de site de campement en fonction des aléas de la vie en forêt, surtout pour les voyages de moyennes et longues durées. Un tel voyage représente un niveau d’engagement qui n’est pas du même ordre qu’une activité de plaisance de deux, trois jours. La possibilité d’adapter les parcours et les sites de campements en fonction des imprévus que représentent de tels voyages est importante pour la sécurité des canots-campeurs. La réserve permet à tous de vivre à leur rythme, de s’adapter au rythme de l’environnement et non pas au rythme artificiel des sociétés humaines.
- Une multitude de circuits pour tous les goûts et pour tous les niveaux d’expérience. Le développement du savoir-faire peut ainsi se faire de manière plus naturelle et plus durable plutôt qu’à l’intérieur d’une organisation d’encadreurs.
La reprise de la gestion de l’offre de canot-camping par la SEPAQ génère de grandes inquiétudes au niveau des qualités intrinsèques de la réserve. Ainsi nous craignons :
- Une augmentation des bateaux à moteurs qui affecterait les trois rivières sœurs, un patrimoine naturel du Québec, dont les sources se trouvent dans la réserve faunique La Vérendrye.
- La création d’infrastructures facilitantes (des chalets, des tentes Hutopias, zones multi-usages) pour augmenter «l’expérience-client» et l’achalandage, afin d’en faire un parc d’attractions plutôt que de préserver le territoire à son état sauvage.
- L’augmentation des tarifs d’accès. Le savoir-faire qui est nécessaire à l’accès à l’arrière-pays n’est pas élitiste puisqu’il ne dépend pas d’un statut social ou d’un compte de banque. Les infrastructures facilitantes sont élitistes parce qu’elles visent une «clientèle».
- L’abandon graduel des circuits de longues distances qui, nous en sommes conscients, ne sont pas les activités les plus rentables. Un espace naturel peut exister pour autre chose que le revenu qu’il génère. C’est son caractère sauvage et la possibilité d’y faire des trajets de moyennes et longues distances qui donne à la Réserve sa réputation au niveau national et international.
- L’obligation de s’inscrire à même une organisation complexe qui n’a rien à voir avec le rythme de la nature. Le système de réservation est un concept mercantile et urbain.
- De voir les droits de pêche augmenter. La pêche lors d’un voyage de canot de moyenne et longue durée en arrière-pays, au contraire des voyages de pêcheurs, représente une activité d’opportunité et non l’activité principale. Elle permet de compléter la variété des repas.
- De voir la SEPAQ privilégier la protection des circuits courts au détriment des circuits de l’arrière-pays et ainsi ne pas mettre d’énergie à défendre ces circuits contre les activités de coupes forestières.
Nous vivons à une époque et sur un territoire — le sud du Québec — où il ne reste que très peu de vraie nature sauvage à grande échelle. Nous connaissons tous la surutilisation de lieux gérés pour que d’autres puissent profiter de l’illusion de la nature sauvage, mais dont les infrastructures facilitantes résultent justement en surutilisation.
Le canot-camping dans la Réserve faunique La Vérendrye échappe, pour le moment, à ce constat. Il permet une immersion dans une nature sauvage comme au temps où il ne suffisait que d’avoir du savoir-faire et un canot pour partir à l’aventure.
Peut-on garder un endroit dans notre réseau de parcs hyper récréatifs qui permette de vivre cette expérience avec un minimum, voire aucune infrastructure? Un endroit dont les permis d’accès reposent davantage sur le savoir-faire et l’esprit d’aventure que sur une planification par enregistrement des mois à l’avance, un statut social et un compte de banque? Un endroit qui permet de vivre au rythme de la nature, avec pour seules contraintes celles imposées par l’environnement, une date de sortie et la quantité de nourriture contenue dans notre canot, sans être astreint de suivre un horaire et un itinéraire rigides et artificiellement contraignants?
Contrairement à l'Ontario qui a un réseau de parcs classés "Wilderness" qui permet de vivre cette expérience, il ne reste qu’un seul endroit dans le réseau québécois pour vivre cela. Avons-nous la générosité et l’assurance de préserver ce territoire d’une transformation en parc d’attractions dont la forêt ne serait que la toile de fond?
Le voyage en canot de moyenne et longue durée en régions sauvages et avec peu ou pas d’infrastructures fait partie de notre histoire. Il pourrait être pertinent de valoriser cette culture auprès des jeunes générations. On protège ce que l’on aime!
Ne pourrait-on pas exporter le modèle que l’on retrouve jusqu’à maintenant dans la Réserve faunique La Vérendrye à d’autres territoires du réseau?
Un territoire naturel est bien plus qu’un endroit où aller pour s’amuser et passer ses vacances. Un territoire naturel est un être vivant qui peut parler à l’âme ou à l’esprit. Nous ne sommes que des visiteurs, faisant partie de ces lieux sauvages pour un temps. La nature ne nous appartient pas. C’est nous qui lui appartenons. Et c’est en respectant ses lois plutôt que celles des humains qu’on lui rend hommage.
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La lettre a suscité beaucoup d'intérêt dans le monde du plein air au Québec. La Presse y a consacré un article et la SEPAQ a été obligée de répondre. Maintenant, il leur reste à démontrer que les bottines suivront les babines.
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