Une image, parfois, est un travail à deux voix
Une image raconte plus qu’un instant : elle témoigne d’un regard, d’une démarche, parfois d’un récit à deux voix.
Dans le cadre de mes reportages et de mes expéditions, ma pratique d’auteur documentaire m’amène à conjuguer narration, présence et observation du réel. Certaines photos naissent ainsi d’un travail collaboratif, reflet d’une expérience partagée autant que d’un engagement visuel.
Texte : Marc-André Pauzé. Photographies réalisées seul ou en collaboration, selon les situations. Photo couverture: N.Sentenne/M-A Pauzé
Avant d’être photographe ou journaliste, j’étais un voyageur des territoires vastes, un arpenteur des régions sauvages. La nature a été mon premier terrain, mon école, mon souffle.
Avec les années, mon regard s’est tourné vers l’humain. J’ai alors pratiqué un photojournalisme plus classique : documenter l’autre, témoigner de son quotidien, de ses luttes, de ses silences. Observer, cadrer, restituer — avec justesse et distance.

Photos en haut: Michel Ducharme. Photos en bas: Nathalie Sentenne
Mais doucement, quelque chose m’a ramené à mes élans premiers. À cette relation directe, organique, avec les lieux, les éléments, le vivant. Ce n’est pas un retour en arrière. C’est une boucle qui se referme. Mon regard a mûri. Ma manière de raconter aussi.
Je suis revenu au territoire — mais avec l’expérience du reportage : une attention renouvelée à l’histoire, à la lumière, aux tensions invisibles d’un instant.
Aujourd’hui, je ne cherche plus à m’effacer. Je fais partie de ce que je raconte.
Mes images ne sont plus de simples témoignages extérieurs : ce sont des fragments d’un récit vécu, ancré, traversé de sensations et d’engagement.

À droite, reportage pendant un voyage sur les territoires traditionnels des Gakijiwanong Anishinaabe. À gauche, reportage sur l'engagement d'une coopérative d'artisans du savoir traditionnel dans le Bas-du-Fleuve. Photos © M-A Pauzé
Je suis écrivain-reporter visuel. J’avance, je vis, j’écoute, je photographie. Et parfois, je ne suis pas seul à voir. Créer, pour moi, c’est documenter ce lien au monde. Un lien sensible, incarné. Je suis présent dans le paysage — autant physiquement que narrativement.
Mon appareil ne me sert pas à me dissimuler derrière une façade de neutralité. Il prolonge ma perception. Il raconte ce que je vis, à la première personne. C’est pourquoi mes images sont toujours ancrées dans le réel. Elles relèvent du documentaire, mais dans une forme assumée d’immersion autobiographique.
Je ne cherche pas à illustrer un fait extérieur. Je rends compte d’une expérience vécue : la mienne, celle de mes compagnons parfois, et surtout, ce dialogue fragile entre l’humain et le territoire. Et dans ce processus, je ne suis pas toujours seul.
Certaines images sont collaboratives. Elles naissent de regards croisés. Quand je pars en expédition avec Nathalie, Vincent ou Yves, il arrive qu’une image soit conçue à plusieurs : repérée par l’un, cadrée par l’autre, ajustée par moi, ou captée à l’aide d’un trépied.

Portage dans les pays d'en haut, Nord-Ouest de l'Ontario. Photo: M-A Pauzé/Y. Nadon
Ces gestes se répondent. L’intention se partage. La photo devient alors le fruit d’une complicité. Et je tiens à le reconnaître.
Quand deux noms figurent sous une image, cela signifie qu’elle a été conçue à plusieurs voix.
- Le premier nom est celui qui a porté la majorité du processus — vision, exécution, traitement.
- Le second, celui ou celle qui a contribué à une ou plusieurs étapes : perception initiale, cadrage, déclenchement, soutien technique, ou simple présence inspirante.
C’est une manière d’être honnête. Et d’admettre que parfois, le regard est collectif, même si l’image est unique.
Je pense, par exemple, à cette photo qui fait la couverture de cet article, prise un matin sur la Côte-Nord.
Nathalie et moi étions en bord de fleuve, à observer les oiseaux. Le vent venait du large. Il régnait ce calme particulier des instants suspendus.
Elle a vu l’image avant moi. Ou peut-être est-ce elle qui me l’a rendue visible. J’ai ajusté les paramètres, peaufiné les détails en studio. Mais c’est elle qui a choisi le cadrage. C’est elle qui a senti le bon moment.
Alors, cette photo, nous l’avons signée à deux. Parce qu’elle nous appartient à tous les deux. Parce que c’est une histoire partagée.
Mes images racontent ce que j’ai vécu. Et lorsqu’un voyage se fait à plusieurs, elles racontent ce que nous avons vécu. Elles deviennent alors le reflet d’une expérience commune, d’une exploration sensible menée à plusieurs. Des images traversées par la confiance, le dialogue, parfois le silence — toujours l’attention portée au monde.
Photographier ainsi, c’est documenter une relation. Au territoire. Aux autres. À soi.
C’est accepter que l’histoire ne se limite pas à ce qu’on voit, mais à ce qu’on ressent — dans l’instant, dans la lumière, dans le vent, dans l’espace que l’on habite.
Et si, parfois, deux noms apparaissent sous une image, c’est parce qu’elle porte deux regards. Deux sensibilités. Deux présences. Mais une seule histoire. Celle que nous avons vécue. Ensemble.
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🔗 Pour aller plus loin
📖 Sur ma vision du reportage documentaire, je vous invite à lire cet autre article :
Qu’est-ce qu’un reportage documentaire ?
Pour en savoir plus sur ma démarche d'écriture:
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Note sur la démarche
Ce récit s’inscrit dans une approche d’écrivain-reporter visuel, alliant rigueur journalistique, écriture immersive et photographie documentaire. Chaque image, chaque texte, est né d’une expérience vécue, où j’étais non seulement témoin, mais aussi partie prenante de l’histoire.
Explorer. Comprendre. Raconter. — Ce mantra guide ma pratique depuis toujours.
🔗 En savoir plus sur ma démarche :
Photographie documentaire et collaborative | Journalisme narratif et écriture