Là où naissent les canots traditionnels

À l’atelier de Headwaters Canoes, un savoir-faire ancestral donne vie à des canots d’exception.

L'atelier de Headwaters Canoes à Wakefield, au Québec, est exactement l’endroit où l'on imagine voir naître des canots en bois et en toile, fabriqués sur mesure. Une petite route serpente à travers une forêt d’érables et mène à une entrée de terre battue. Au fond de la cour, une dépendance dont le bois de revêtement usé par les intempéries se fond dans les collines du parc de la Gatineau, un vaste espace vert adjacent à la capitale du Canada, Ottawa. Les chaudes couleurs de l’automne contrastent avec l'air frais du matin. De la cheminée, une fumée de bois s'échappe doucement, tandis qu’une lumière chaude filtrant des fenêtres semble inviter à entrer.

Dès le seuil franchi, une odeur enivrante de bois fraîchement travaillé emplit l’air. La lumière tamisée, filtrant à travers de grandes fenêtres poussiéreuses, illumine des outils patinés par le temps et des coques de canots en construction. Au centre de l’atelier, un homme âgé, le dos courbé au-dessus d’un établi, lève un instant les yeux par-dessus ses lunettes. Son regard est celui d’un artisan qui a passé une vie entière à perfectionner son art. Dans le monde du canot d’expédition, Hugh Stewart est une légende. Depuis plus de 40 ans, il façonne à la main des canots de cèdre entoilé, perpétuant un savoir-faire ancestral.

Un engagement envers la tradition

Après une adolescence passée à explorer le parc Algonquin, en Ontario, et à guider des expéditions pour le camp Temagami, Hugh Stewart s’est passionné pour la réparation de canots traditionnels. Les camps Temagami et Keewaydin continuent d'utiliser exclusivement des canots de cèdre entoilé pour leurs expéditions en régions sauvages, préservant ainsi une tradition face à la popularité croissante des matériaux modernes. Responsable de l’entretien de la flotte du camp, Stewart a voulu aller plus loin : concevoir des canots capables de l’accompagner lors de ses propres expéditions. C’est ainsi qu’il a fondé Headwaters Canoes, au pied des collines du parc de la Gatineau.

Le canot de cèdre entoilé : une alliance entre esthétique et performance

Longtemps perçu comme un objet de collection, le canot de cèdre entoilé est bien plus qu'une pièce d'exposition. Contrairement aux modèles où le bois de la coque demeure visible à travers une couche de fibre de verre ou d’époxy, souvent rigides et difficiles à réparer, le canot de cèdre entoilé, lui, est conçu pour résister aux rigueurs des expéditions. Il allie souplesse, solidité et facilité de réparation sur le terrain, offrant une expérience de navigation unique.

D’ailleurs, Hugh Stewart a passé sa vie à combattre le mythe de la fragilité des canots en bois et en toile. Passionné par l’histoire du Canada, il a parcouru le Grand Nord à maintes reprises, prouvant que ces canots sont conçus pour un usage intensif. L'esthétique est une chose, mais les canots en bois et en toile sont particulièrement faciles à entretenir sur le terrain et faits pour être reconstruits à l’infini.

"Si je devais en choisir un, j'opterais probablement pour la polyvalence du Prospector de 16 pieds. (...) Si je dois choisir entre un canot de cèdre entoilé et un canot synthétique, le cèdre entoilé l'emporte haut la main pour sa beauté et ses sensations. C'est comme pagayer un morceau de notre histoire."

— Becky Mason, fille de Bill Mason et instructrice de renommée internationale.

Un équilibre entre charge et maniabilité

Pour Garrett Conover, guide chevronné des forêts du Nord, la conception d'une coque performante repose sur un subtil équilibre entre charge et maniabilité. Une coque bien conçue doit exceller autant en eaux calmes qu’en eaux vives, en aval comme en amont.

Contrairement aux canots en fibre synthétique, souvent plus rigides, le canot de cèdre entoilé absorbe les chocs grâce à sa structure flexible. Cette souplesse, combinée à une conception robuste, permet une navigation fluide et silencieuse, essentielle pour les expéditions en milieu sauvage.

Le Prospector : un modèle iconique

Développé dès la fin du XIXe siècle, le canot en bois et toile était l’embarcation de prédilection des explorateurs de la Commission géologique du Canada (CGC). Par exemple, entre 1884 et 1905, Albert Peter Low a mené neuf saisons d’exploration intensives, totalisant plus de 1 450 jours en canot à travers la nature sauvage du nord du Québec et du Labrador.

Low et ses équipes utilisaient des canots de 16 à 19 pieds, conçus pour transporter de lourdes charges tout en restant maniables. Fabriqués en bandes de cèdre et re couvert de canevas, ces canots provenaient d’ateliers renommés comme Peterborough et Chestnut. 

Conçus pour affronter les rapides, les portages et les vastes étendues d’eau du nord, ils étaient les véritables « bêtes de somme» des expéditions canadiennes.

Le modèle Prospector, qui deviendra une référence dans le monde du canot d’expédition, ne fut officiellement introduit par Chestnut qu’en 1923, après les explorations de Low. 

Cependant, les canots utilisés par la CGC à la fin du XIXe siècle partageaient déjà plusieurs caractéristiques essentielles de ce modèle emblématique : une coque large et profonde, un giron prononcé et une grande capacité de charge — jusqu’à 1 000 livres de matériel et plusieurs pagayeurs.

Aujourd’hui, de nombreux fabricants ont adapté ce modèle aux matériaux composites modernes, mais Headwaters Canoes reste fidèle aux moules originaux de Chestnut, garantissant une authenticité rare.

« Les canoteurs modernes s’appuient trop sur la technologie et pas assez sur leurs compétences. C’est pourquoi ils choisissent, la plupart du temps, des Prospectors en matériaux composites. Beaucoup s’inspirent du modèle de Chestnut, mais peu disposent des moules originaux. Ici, nous fabriquons l’authentique. »

— Jamie Bartle, artisan chez Headwaters Canoes.

Une passion transmise

Aujourd’hui, Hugh Stewart a passé le flambeau à Jamie et Kate Prince, deux anciens apprentis passionnés par les expéditions en canot. Pourtant, difficile pour lui de prendre une retraite complète :

"Il travaille avec nous chaque jour."

Quelques mois plus tard, de retour dans l’atelier, je retrouve Kate en train de fixer les planches de cèdre sur les varangues, tandis que Jamie adoucit la surface d’un autre canot à l’aide de sa plane. Dans un coin, une coque attend d’être recouverte de toile. Sur l’étrave, mon nom est inscrit. Un jour, lorsque mes enfants changeront cette toile, ils retrouveront ces lettres gravées dans les fibres du bois.

Hugh s’approche, et nous nous installons autour du poêle à bois, une tasse de café en main, pour partager quelques histoires de voyage. Au loin, le vent fait bruisser les feuilles d’érable. Je me surprends à penser à cette phrase que j’avais écrite il y a quelques années :

"Un canot de cèdre entoilé : la plus belle invention d'exploration des territoires intérieurs que l'Homme ait faite. Un jour..."

Ce jour allait arrivé en juin. Et alors, il ne me restera plus qu’à tendre l’oreille et attendre le premier clapotis de mon canot sur l’eau.

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