À la rigueur de tous les temps - partie II
Deuxième article d’une série sur les principes de thermorégulation appliqués aux voyages en territoires sauvages et sur les propriétés des différents matériaux de vêtements de plein air, incluant quelques déboulonnages de mythes. Dans celui-ci, la coquille imperméable-respirante.
Si les vêtements synthétiques sont conçus pour la performance et la vitesse, ils ne sont pas conçus pour des séjours prolongés et intenses en nature. Généralement, ils tolèrent assez mal les impératifs de la vie en forêt. Ils sont de moins en moins efficaces lorsqu’ils se salissent et leurs propriétés se dégradent avec l’exposition au soleil. Les membranes de Gore-Tex se délaminent sous la friction des bretelles de sac à dos et ces produits de l’industrie pétrochimique ont en horreur la moindre étincelle.
Combien d’entre nous ont carrément sauté pour éviter une flamme de réchaud mal contrôlée, avec quelques cils ou sourcils en moins? Et combien d’autres ont vu leurs vêtements fondre parce qu’un souffle de vent a attisé le feu de camp? Combien de tuques en fourrure polaire synthétique se sont désintégrées parce qu’elles se sont détachées du crochet au-dessus du poêle à bois du refuge?
Les fibres naturelles sont beaucoup plus résistantes à l’usure, au soleil et à la chaleur d’un tison. Mais les campagnes de marketing sont très efficaces pour nous vendre du rêve.
Le champion de ces campagnes de marketing est le Gore-Tex. L’humidité étant le «tueur» dans la forêt, le Gore-Tex est imperméable tout en étant respirant. Il est le matériau censé nous garder au sec par lequel tous les autres se comparent. Il est à noter que même si je mentionnerai le Gore-Tex tout au long de cette analyse, les autres systèmes laminés ou enduits qui se disent «imperméable-respirant» auront à peu près les mêmes contraintes.
Le Gore-Tex est construit d’une membrane à base de teflon laminée à l’intérieur d’un tissu et souvent pris en sandwich entre le tissu composant l’extérieur d’une coquille et le tissu composant la surface intérieure. Cette membrane a des micropores laissant s’échapper les molécules de vapeur, comme notre peau. Ces micropores empêchent les molécules d’eau à l’état liquide d’entrer. En fait, la capacité respirante de cette membrane repose plus sur un échange de vapeur par pression différentielle que sur les similitudes avec les mailles d’un filtre. Sa composition rend le Gore-Tex étanche au vent. Le facteur de refroidissement éolien ne compte pas quand on est revêtu d’un Gore-Tex. Bon, c’est une bonne chose de réglé. Avec des couches isolantes dessous, il crée un microclimat nous isolant. Mais qu’en est-il de la gestion de l’humidité?
Une coquille hydrofuge comme la veste et salopette Chimo (qui n'existe plus) pour l'alpinisme en hiver.
On nous le vend comme étant le produit miracle qui résout le plus grand problème rencontré par les humains en vadrouille dans la nature depuis la nuit des temps. Son principe d’action permet aux molécules de vapeur de migrer vers l’extérieur à travers la membrane. Cette membrane est 100% imperméable. Elle empêche la pluie d’entrer, sauf par des défauts de conception et d’utilisation du vêtement recouvrant un corps humain en mouvement. Or, ce corps humain en mouvement produit de la transpiration et celle-ci doit s’échapper. On l’a vu, la membrane est conçue pour évacuer la vapeur d’eau. Mais pour que ce principe fonctionne, il faut que la pression intérieure soit supérieure à celle à l’extérieure, que l’eau reste sous forme gazeuse, que les pores de ces tissus soient maintenus propres, exempts de saleté ou de graisse et que la surface extérieure ne soit pas saturée d’eau. Les manufacturiers enduisent la surface extérieure d’un produit déperlant pour l’empêcher de se gorger d’eau. Ces traitements déperlants sont à réactiver par l’application régulière d’un produit hydrofuge chimique. Ces dernières années, ces produits hydrofuges, encore plus que les membranes de Gore-Tex, ont été mis à l’index pour leurs grands impacts environnementaux. Si on doit les réactiver, c’est qu’ils s’éliminent dans l’eau, libérant des particules pétrochimiques dans l’environnement.
Oui, mais la pluie, c’est dangereux, me direz-vous. Encore faut-il que la pluie soit vraiment dangereuse, mais est-elle aussi mauvaise que les fabricants le prétendent? Peut-être cela fait-il partie de la culture de la peur moderne, mais la pluie a été présentée de manière disproportionnée, comme si la moindre goutte signalait une menace de mort. Cela est probablement dû davantage à notre mode de vie moderne, qui fait que nous sommes à peine exposés aux éléments, et au marketing qui promet de nous protéger de cette humidité insidieuse. En fait, le nombre réel d’heures passées sous une vraie pluie torrentielle pour la plupart des gens qui pratiquent des activités de plein air est en fait très faible. Demandez-vous combien de fois vous êtes sorti quand il pleuvait vraiment à verse. Même lorsqu’il pleut, ces gouttes de pluie sont en fait assez minimes et en autant que nous sommes en état de produire de la chaleur, nous ne sommes pas en danger.
«(...) le tissu — contrairement aux humains et au vin — ne respire pas.»
Qu’en est-il si cette pluie est forcée contre les tissus, comme lorsque vous portez un sac à dos, si le vent est très fort ou si vous êtes pris dans un déluge? Un vêtement très peu imperméable peut laisser passer l’eau, mais cela est compensé par le fait qu’il séchera éventuellement plus rapidement. Même si la pluie est aussi mauvaise qu’on vous l’a fait croire, il y a une chose qui sera toujours un atout majeur: votre peau est 100% imperméable et elle, elle respire. Si vous acceptez cette vérité, tout d’un coup, cette pluie redoutée n’est plus un problème. Ce dont vous avez besoin, c’est d’un nouvel état d’esprit qui rejette l’idée que l’eau est mauvaise, dangereuse et qu’il faut y résister à tout prix, mais qui se base sur ce qu’il faut faire lorsqu’elle est à l’intérieure, car d’une manière ou d’une autre, vous aurez à gérer l’humidité. C’est là que réside l’un des principaux obstacles au concept d’imperméabilité et de respirabilité, dans la mesure où la coquille est, selon l'industrie, la composante centrale de votre système de superposition, alors qu’en fait, c’est la moins importante, la couche de base venant en premier, suivie de vos couches d’isolation. Le plus important est la gestion de l’humidité dans les couches les plus près de votre corps et votre capacité à produire de la chaleur, votre poêle à bois interne.
Tout d’abord, réglons un autre cas de marketing. En ce qui a trait aux vêtements, le mot «respirant» n’a aucune valeur, car le tissu — contrairement aux humains et au vin — ne respire pas. Le tissu peut être capable de transférer la vapeur d’eau de l’intérieur vers l’extérieur grâce à un processus de «pompe» à humidité, mais contrairement à une paire de poumons, il ne peut pas aspirer l’air humide et le remplacer par de l’air sec. C’est ici qu’entre en jeu, les couches intérieures, leur composition et la pompe à transfert d’humidité qu’est votre métabolisme. Ce mécanisme gardera l’humidité dans les couches extérieures de votre système. Avec des couches internes bien choisies, vous resterez au chaud.
Maintenant, abordons le deuxième volet de l’axiome «imperméable respirant». Notre corps formé à 80% d’eau en produit beaucoup, mais VRAIMENT beaucoup. En fait, il en produit tellement, surtout lorsqu’il est actif, que la super membrane de Gore-Tex ne fournit pas à l’évacuer. De plus, si la température extérieure est très froide, la transpiration se condensera à l’intérieur du vêtement avant de passer la membrane. On l’a vu, la membrane est 100% imperméable à l’eau. On se retrouve donc trempé. Voilà pourquoi les Gore-Tex de ce monde fonctionnent seulement dans certaines conditions. Dans l’utilisation d’une coquille de Gore-Tex, il est primordial de réduire au maximum la production de transpiration en ajustant l’intensité de l’exercice et en choisissant les couches intérieures. Ainsi il faut toujours commencer une activité en ressentant le froid. À mesure que votre corps s'échauffera, vous aurez une meilleure évaluation de l'humidité produite. Toutefois, il faut garder en tête qu’on évolue en arrière-pays et qu’un imprévu est vite arrivé. Combien de fois n’ai-je rencontré des gens qui étaient dans le pétrin parce qu’ils étaient vêtus pour faire du jogging au coin de la rue alors qu’ils se trouvaient à plusieurs kilomètres en forêt, sans avoir prévu aucun vêtement pour conserver la chaleur dans le cas où ils seraient obligés de ralentir ou s’arrêter. Gardons en tête qu’un territoire sauvage n’est pas un parc urbain. Ayez toujours une couche isolante dans votre sac, même pour votre course en montagne.
Pour nous protéger de la pluie, la chaleur produite par notre métabolisme et les capacités des tissus à isoler et à faire migrer l’humidité vers l’extérieure sont des éléments plus importants que l’imperméabilité de la coquille extérieure. Le Gore-Tex demeure utile pour certaines activités comme l’alpinisme et l’escalade de glace par temps doux ou de longs treks qui imposent un choix de vêtements très ciblé. Si une coquille de type Gore-Tex est utilisée, il faut rester conscient que sa capacité à évacuer l’humidité sera contrainte par plusieurs facteurs et conditions climatiques. Si sa capacité à évacuer l’humidité est importante, il est préférable de choisir une conception intégrant des ouvertures d’aération. La membrane de Gore-Tex ne suffira pas à évacuer l'humidité.
Mon expérience d’une cinquantaine d’années à parcourir les grands espaces dans toutes les conditions imaginables, m’a montré que je peux rester relativement confortable avec un bon état d’esprit, une coquille qui me protège du vent, qui fonctionne en synergie avec mon métabolisme et les couches internes que je porte, ainsi que quelques sous-vêtements de laine mérinos de rechange pour le campement ou pour une urgence. Le vêtement extérieur peut être une coquille hydrofuge — qui repousse l’eau mais qui ne prétend pas être imperméable —, ou un anorak à base de coton ciré (j’y reviendrai plus loin). Quand cela ne suffit pas, j’enfile un bon vieux poncho qui ne coûte pas cher, est très compact et léger, est 100% imperméable et très aéré. On a aussi tendance à oublier le parapluie. OK, je vous le concède, le parapluie ne fait pas partie de mon équipement de canot ni de montagne ou de randonnée hors-piste. Mais pour la randonnée dans la forêt, sur sentier bien dégagé, on a tort de le regarder de haut. Il est facile de le fixer au sac à dos et à moins de grands vents, il fera un bien meilleur travail qu’une coquille de type Gore-Tex. Une coquille doit être, avant tout, hydrofuge, coupe-vent et permettre l'évacuation de l'humidité.
Si la pluie devient trop intense ou si je rencontre la pire situation à gérer, une journée d’hiver dans la forêt boréale sous la pluie, j’installe un abri et j’attends que ça passe. Encore une fois, c’est notre mode de vie ultraperformant qui nous impose de finir notre randonnée coûte que coûte et dans les temps prescrits. On est pas obligé de prendre l’apéro sur la terrasse d’un chalet. Après tout, je préfère autant être au sec sous un abri, adossé à mon sac, le cul sur une couverture, à siroter quelques gorgées devant un bon feu.
La forêt est une noble cathédrale. Comme tous les anciens bâtiment, son toit coule et les dalles sont glissantes.
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