À la rigueur de tous les temps - Partie V

Cinquième et dernier article d’une série sur les principes de thermorégulation appliqués aux voyages en territoires sauvages et sur les propriétés des différents matériaux de vêtements de plein air, incluant quelques déboulonnages de mythes.

Cliquez ici pour voir la série complète (classé en ordre inverse, du plus récent au plus ancien)

«Le coton tue» ?

Toute personne qui fait du plein air a entendu cet adage que les vendeurs et compagnies de vêtements répètent comme un mantra. Il est quand même fascinant de constater que le coton n’a pas toujours tué. Il n'a commencé à tuer que lors de la Première Guerre mondiale, alors que les soldats croupissaient dans la boue des tranchées, puis il n'a recommencé à tuer que dans les années 1980, quand le plein air «sans traces» (mais rempli de matériel à base de pétrole) s’est imposé et que le temps passé en nature devait être maximisé pour atteindre des objectifs de performance. Les activités de plein air devenaient des sports et la nature devenait le théâtre où nous devions réaliser nos exploits.

Or, pour être exact, il faudrait compléter la célèbre phrase comme suit :

Le coton tue s’il devient humide, qu’il est porté contre la peau, qu’on n’est plus en mesure de produire de la chaleur et que l’on n’a pas la possibilité de se changer ou de se réchauffer près d’une source de chaleur.

Il est vrai que le coton est une très mauvaise fibre pour conserver notre chaleur. Selon le groupe de travail américain sur la recherche et le sauvetage, l’eau évacue la chaleur du corps 25 fois plus vite que l’air. Or, les vêtements en coton peuvent absorber jusqu’à 27 fois leur poids en eau et prennent du temps à sécher. C’est souvent tout ce que l’on retient du coton. On a d’ailleurs tous le souvenir extrêmement désagréable de s’être fait prendre par la pluie alors que nous portions un simple t-shirt en coton et une paire de jeans. Dans ces conditions, les dangers d’hypothermie sont réels, et ce même en cas de températures modérées.

Par contre le coton offre de belles caractéristiques si on en connaît les limites et que la fibre miracle de la nature, la laine, n’est pas loin dans notre sac. Ainsi :         

- le coton est une fibre naturelle. Bon, toute culture du coton n’est pas écologique, loin de là.   Toutefois, comme la laine, le coton a le potentiel d’être produit de manière totalement écologique. Les fibres synthétiques, elles, n’ont pas ce potentiel. JAMAIS.

- le coton est très résistant à l’usure et aux aléas de la vie en nature, surtout en forêt. Un bon vêtement fait de coton peut résister à des années de durs traitements et à des expositions à des étincelles de feu.

- le coton est souvent d’une épaisseur nous protégeant des piqûres de moustiques et c’est un excellent protecteur contre les rayons UV du soleil.

- le coton est un excellent radiateur pour nous rafraîchir lorsqu’il fait chaud. Ses caractéristiques de refroidisseur par évaporation qui sont si nocives quand on doit conserver notre chaleur sont mises à profit lorsqu’au contraire, nous sommes en situation de surchauffe. Le plus bel exemple nous est donné par les nomades du désert. Ils portent des épaisseurs de longs vêtements de coton malgré les températures élevées. On pourrait penser qu’ils portent ces vêtements pour se protéger du soleil et c’est tout à fait juste. Mais c’est aussi pour profiter de l’effet rafraîchissant de l’évaporation de l’humidité. Lors de ma première expédition dans le Sahara, j’ai remarqué que les Bédouins recouvraient les bidons d’eau de jutes de coton qu’ils mouillaient abondamment. Tout au long de la journée, et ce malgré des températures au-dessus de 40˚ Celsius, l’eau des bidons restait étonnamment fraîche. La jute, en évaporant l’humidité de ses fibres, créait une pompe à chaleur et protégeait la masse d’eau de la surchauffe.

C’est donc en considérant ces quatre caractéristiques, plus celle qu’il ne doit pas être en contact avec la peau s’il est humide, que j’ai réintroduit le coton dans mes vêtements pour mes vagabondages et voyages en nature.

Du coton ciré contre la pluie?

Il y a des centaines d'années, les marins ont remarqué que les voiles mouillées captaient le vent plus efficacement que les voiles sèches. En remplissant d'eau les fibres de la voile, on empêchait le vent de passer à travers. Mais les voiles mouillées étaient aussi extrêmement lourdes et il était très difficile de les maintenir humides par temps sec. Ils ont donc commencé à les enduire d'huile de poisson, de graisse et d'autres substances similaires. Cela a permis de créer un tissu capable d'arrêter le vent, tout en restant relativement léger et ce traitement était durable.

Ce même tissu de voile coupe-vent, assez léger et durable, permettait également de repousser l'eau. Les marins du XVe siècle utilisaient les morceaux de voile pour se fabriquer des vêtements imperméables.

L'huile de poisson ayant une odeur de... poisson, l'huile de lin s'est imposée comme alternative pour la fabrication des vêtements en toile cirée. Mais elle n'était pas parfaite non plus, car elle devenait rigide et se fissurait au froid, fondait dans les vêtements lorsqu'il faisait chaud et se décolorait avec l'âge, passant du clair au jaune. (C'est la raison pour laquelle, dans les peintures anciennes, les pêcheurs portent tous des vêtements jaunes). 

En 1830, un chimiste allemand a découvert qu'il pouvait fabriquer de la paraffine, une cire à partir du sous-produit de la transformation du pétrole en huile de graissage. Cette cire était inodore, incolore et son point de fusion pouvait être modifié à l'aide d'additifs. Parmi ses nombreuses utilisations, elle peut imprégner les tissus. Et surtout, elle était incroyablement bon marché.

Mais la paraffine est un produit dérivé du pétrole. La paraffine utilisée pour traiter le coton est une distillation d'huile minérale non toxique. Aucun pétrole supplémentaire n'est extrait pour la fabriquer - tant que nous utiliserons des voitures, des jets et des bus, la paraffine sera produite en tant que sous-produit propre.

Depuis on a découvert qu'une application de cire naturelle était tout aussi efficace pour rendre le coton hydrofuge si ce n'est qu'il faut la rappliquer plus régulièrement.

La raison pour laquelle le coton ciré fonctionne si bien est que ses fibres creuses, qui sont par ailleurs si problématiques en raison de leur propension à absorber l'eau, peuvent être remplies de cire et s'y accrocher, ce qui rend les fibres elles-mêmes imperméables à l'eau.

Tout comme le cuir, le coton ciré est un matériau qui s'améliore avec l'âge et l'usure. Une veste remplie de cire est rigide au début, mais elle s'assouplit et s'adapte à votre corps si vous passez quelques nuits à dormir dedans. C'est d'ailleurs le moyen le plus rapide de s'habituer à l'une ou l'autre matière.

Pendant nos déplacements, nous comptons sur des couches isolantes de laine et un coupe-vent ciré. Celui-ci est hydrofuge, permet l'évacuation de l'humidité produite par le corps, résiste bien aux vents, sèche rapidement et est très résistant (aucune crainte de délamination).

Comme le cuir, le coton ciré se patine et s'adapte au corps au fil des mois. Au fil du temps, avec l'exposition au soleil et à la pluie, la cire imprégnée commencera à disparaître des fibres de coton, ce qui nécessitera une nouvelle application. Ainsi, comme le cuir, le coton ciré nécessite un certain entretien. Heureusement, la cire est une substance facile à travailler. Il suffit de se procurer une boîte de la cire utilisée à l'origine, de la faire chauffer dans une casserole d'eau chaude, puis de l'appliquer à nouveau sur le tissu.

La toile épaisse généralement utilisée est également solide et résistante aux perforations et à l'abrasion. Elle est donc très efficace pour repousser les branches d'arbres pointues. Contrairement à une veste synthétique de luxe, elle ne craint pas les projections de tisons provenant d'un feu de camp. Une veste de Gore-Tex Arc'teryx (ou autre imper-respirant) a une durée de vie d'environ cinq ans, si vous l'utilisez souvent. Un manteau en coton ciré de 20 ans est encore jeune selon les normes de ce matériau.

Peter Marshall est un voyageur par canot qui a refait le voyage historique de 1905 de Mina Hubbard à travers le Labrador. L’aspect unique de ce voyage est que l’équipe n’a utilisé que des répliques de matériel non synthétique du début du XXe siècle. J'ai échangé sur le sujet, avec lui et il me disait:

« La toile et le coton, contrairement à ce que l’on croit, gardent très bien au sec. Nous avons eu de fortes pluies (le Labrador est très humide en été) et la tente a très bien fonctionné, tout comme le manteau et le pantalon. L’essentiel, je pense, c’est qu’il faut cesser de penser que si l’on est mouillé, c’est que quelque chose ne va pas, ce qui est une mentalité très moderne. Aussi la laine est une fibre miracle. Elle gardait nos pieds au chaud même lorsqu’ils étaient immergés dans l’eau froide du Labrador pendant 8 heures par jour. »

Dans l'extrait vidéo suivant (entre 14:10 et 16:40), Marshall et son équipier décrivent les conditions qu'ils ont rencontrées lors de leur expédition au Labrador.

Voyons comment je choisis mes vêtements entre mai et la mi-octobre.

Déjà l’on a vu dans l’article III que je porte toujours, un t-shirt (à manches courtes, à manches longues ou les deux) en laine mérinos près de mon corps. Ensuite, je porte une chemise en canevas de coton jusqu’aux fraîcheurs d’octobre. Cette chemise est épaisse, extrêmement résistante aux travaux, me protège des tiques, des moustiques et du soleil et je mets à profit sa qualité de radiateur. La laine protège mon corps des effets désagréables (et dangereux) d’avoir une peau mouillée (voir l’article III), transmet l’humidité produite à la chemise de coton et s’évapore en évitant la surchauffe (comme les bidons d’eau dans le Sahara). Lorsque la pluie s’annonce ou que la température descend, je change la chemise de coton pour un chandail ou une chemise de laine légère et j’enfile mon anorak de coton ciré. Le coton ciré est hydrofuge et les couches de laine me gardent au chaud, tout en étant très perméable aux transferts d’humidité (ce que le marketing appelle «respirer»). Je m’assure d’avoir toujours un bon niveau de carburant (nourriture) et que je sois bien hydrater, afin que mon métabolisme produise de la chaleur.

Une fois au bivouac, je me mets au sec et m’organise pour le rester, dès que le campement est installé. J’ai toujours minimalement une couche de laine mérinos (haut et bas), un chandail isolant en laine et dans les cas d’excursion de plusieurs jours, une chemise et un pantalon de rechange dans mon sac. Avec ce système, je n’ai jamais eu froid et je n’ai jamais frissonné plus que le temps qu’il faut pour me changer, et ce, même en pagayant toute la journée à la pluie.

Des vêtements de coton secs et robustes sont idéaux pour les gros travaux inhérents aux longs séjours en forêt ou pour cuisiner sur le feu.

Pour bien profiter de nos journées en nature, il est important de bien comprendre les principes de thermorégulation que nous avons vu au cours de ces cinq articles, de connaître nos réactions aux éléments et d’être alerte aux premiers signes que notre corps cherche à compenser une perte de chaleur qui devient hors de contrôle (frissonnement qui dure plus de 5 minutes).

Aussi, le voyageur de l'arrière-pays, le «wilderness traveler», n'est pas pressé. Lorsqu’on se déplace en canot sur le territoire des forêts du Nord, nous ne sommes jamais pressés d'aller d'un point A à un point B. Le moment où l'on fait quelque chose et où l'on va est déterminé par la météo, notre humeur et les endroits propices à monter un bon campement tout en pêchant notre poisson quotidien. Nous ne nous déplaçons pas en fonction de la montre ni d’un itinéraire à faire, mais plutôt quand «le moment est venu». Pour les vagabonds des forêts du Nord, le canot n’est pas un sport, mais ils s'en servent comme moyen de transport traditionnel à très faible impact pour pénétrer et communier avec le territoire.

Abri d'urgence pour passer un orage bien au sec.

Si la pluie devient trop intense, j’installe un abri et j’attends que ça passe. Encore une fois, c’est notre mode de vie ultraperformant qui nous impose trop souvent de finir notre randonnée coûte que coûte et dans les temps prescrits. Pour ma part, je préfère être au sec sous un abri, adossé à mon sac, le cul sur une couverture, à siroter quelques gorgées devant un bon feu. Et quoi de mieux qu'une théière sur le feu pour m'occuper pendant que mon manteau à base de coton ciré sèche après la dernière pluie. Non, le coton ne tue pas nécessairement.

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