Quand l’Arctique frappe à notre porte : les ours polaires en quête d’un refuge
Leur présence de plus en plus au sud, de la Gaspésie à la Basse-Côte-Nord, soulève des questions pressantes sur notre rapport au climat et à la faune arctique.
La présence d’ours polaires dans des régions habitées du Québec ne relève plus du simple fait divers. Ce phénomène, à la fois fascinant et inquiétant, reflète les bouleversements climatiques en cours et soulève des enjeux éthiques, logistiques et environnementaux majeurs. Voici un regard approfondi sur la question, entre faits récents et réflexion de fond.
Des ours de plus en plus au sud
En avril 2025, un ours polaire gras et massif a été observé au Labrador, puis sur la Basse-Côte-Nord, près de Blanc-Sablon, soulevant de vives réactions, entre inquiétude et fascination. Ce n’est pas la première fois qu’un tel déplacement survient. En 2022, un autre ours polaire avait été abattu en Gaspésie — un incident tragique qui avait déjà soulevé de nombreuses questions sur l’adaptation de cette espèce emblématique face au réchauffement climatique.
Bien que l’ours polaire soit considéré comme vulnérable en raison de la fonte des glaces marines, les experts ne le classent pas parmi les espèces en voie d’extinction, en s’appuyant sur les données disponibles à ce jour. L’animal dépend étroitement de la glace de mer pour la chasse. Il incarnait déjà à l’époque un symbole fort du changement climatique, et les experts étaient partagés quant à sa capacité à s’adapter à l’évolution rapide de son environnement. Cependant, au cours des dernières années, plusieurs observations ont révélé des changements dans le comportement de chasse des ours polaires pour compenser la disparition de la banquise.

20 juillet 2017 - Détroit de Davis, Canada - Un ours polaire avec un phoque fraîchement tué sur la banquise de la mer de Baffin.
Ainsi, dans certaines régions de la baie d’Hudson, des ours ont été observés s’installant sur des rochers pour guetter et capturer des bélugas. À Svalbard, des ours polaires ont même été vus pourchassant avec succès des caribous sur la terre ferme. De même, les Inuit de Kangiqsualujjuaq ont noté que certains ours polaires pêchaient des ombles chevaliers et des saumons, un comportement similaire à celui des grizzlys.
Cela dit, bien qu’il existe des exemples de ces adaptations, il demeure difficile de prédire si ces changements seront suffisants à long terme. Pour l’heure, il reste incertain si l’ours polaire pourra survivre sur terre ferme sans son habitat naturel, la glace de mer.
Les défis logistiques du déplacement des ours polaires
À la suite de l’événement survenu en Gaspésie, des voix s’étaient élevées pour critiquer le fait que l’ours n’ait pas été relocalisé plutôt qu’abattu. Or, il est important de souligner la différence majeure entre déplacer un ours noir sur quelques dizaines de kilomètres, et relocaliser un ours polaire sur 500 à 1000 kilomètres.
Le transport d’un ours polaire demande des équipements spécialisés, une équipe expérimentée, et une planification de plusieurs mois, comme l’expliquait à l’époque Dominique Berteaux, professeur en écologie :
« Quand on endort un ours dans le Nord, ce n’est pas dans un contexte où il y a des gens autour. Le déplacer aurait été techniquement possible, mais cela nécessite des équipements et des spécialistes, et la préparation prend des mois. »
L’anesthésie d’un ours polaire dure environ deux heures. Pour une relocalisation plus longue, un respirateur et une équipe de réanimation sont nécessaires — ce qui représente un risque considérable tant pour l’animal que pour l’équipe de sauvetage.
Réf: Le Devoir
Le vécu des communautés inuites et les enjeux de cohabitation
Dans le Nord, vivre avec des ours polaires est une réalité constante. Les communautés inuites, notamment au Nunavik (densité : 0,03 habitant/km²), ont développé des protocoles stricts de sécurité. En revanche, en Gaspésie — où la densité de population atteint 5 habitants/km², soit 250 fois celle du Nunavik — la présence d’un ours polaire représente une tout autre problématique.
Les Inuit vivent avec respect envers l’ours, mais aussi avec la peur au ventre lorsqu’ils ne sont pas armés en quittant le village. Aucun ours n’est toléré à proximité.

Septembre 2013, Kangiqsualujjuaq - Un ours polaire qui rôdait dans le village, a été abattu par un jeune chasseur.
Ce témoignage illustre le fossé entre ceux qui cohabitent depuis longtemps avec l’espèce, et les populations plus au sud, pour qui un ours polaire est perçu à la fois comme menace et curiosité. Mais la cohabitation, si elle devient plus fréquente, exigera des adaptations majeures.
Les réalités de la cohabitation avec l’ours polaire
Il existe des possibilités que d’autres ours polaires se retrouvent dans le golfe du Saint-Laurent. Comment devrons-nous gérer cette situation ? Apprendre à vivre avec cet animal dans nos environs, comme plusieurs l’ont mentionné ? Oui, c’est une option.
La rencontre possible avec Nanook n’est pas à prendre à la légère. Mais, comme il est une source importante de nourriture, nous évaluons s’il est en bonne santé, son âge et s’il s’agit d’une mère avec des petits. Si les conditions de s’approvisionner en nourriture tout en préservant nos futures prises sont réunies ou si nous sommes directement menacés, nous le tuons », explique Jani-Marik Beaulne, un jeune chasseur de 27 ans, de père Inuk et de mère Québécoise, que j’avais interviewé pour mes récits journalistiques dans Regards croisés. « Mais nous ne ressentons pas autant que “l’homme blanc” le besoin de contrôler notre destinée et notre environnement. Nous faisons partie, comme l’ours, du cercle de la vie. »

Juillet 2012, baie d'Ungava - Alice Baron, Inuk de Kangiqsualujjuaq, attendant l'hélicoptère de secours après s'être fait attaquée par un ours polaire.
Êtes-vous prêts à sortir faire une promenade en groupe armé ? Comment dormiriez-vous dans votre tente de camping en sachant qu’un ours polaire peut venir vous surprendre en pleine nuit ? Vous devrez compter sur un bon chien habitué à ces rencontres pour vous alerter et un membre du groupe, armé et de veille. Et parfois, c’est l’ours qui aura quand même son lunch. C’est ainsi que vivent les Inuits lorsqu’ils vont sur le territoire.
Une dynamique des populations d’ours polaires
Contrairement aux idées reçues, certaines populations d’ours polaires — notamment celle du détroit de Davis — sont en croissance. D'après les résultats d'une nouvelle enquête, ces ours se portent très bien : leur nombre est stable, ils sont plus gros qu'en 2007 et les oursons survivent bien, en grande partie grâce à l'abondance de phoques du Groenland. Susan Crockford, zoologiste ayant étudié l’histoire holocène des animaux de l’Arctique, notait que :
« Les ours polaires du détroit de Davis ont considérablement augmenté depuis les années 1970, grâce à l’interdiction de la chasse et à l’abondance des phoques du Groenland. »
La dérive de la banquise au large du Labrador pourrait ainsi expliquer la présence d’individus dans le golfe du Saint-Laurent et ailleurs au sud. Il arrive que certains ours ne puissent simplement pas regagner la glace à temps, et se retrouvaient piégés dans un territoire sans ressource adéquate.
Adaptation, mais à quel prix?
Certes, les signes d’adaptation sont là. Mais suffiront-ils?
Si certains individus hybrides issus de croisements entre ours polaires et grizzlis ont été observés, et que des comportements inédits de chasse sur terre ont été documentés, ces adaptations demeurent ponctuelles. Le régime alimentaire terrestre ne fournirait probablement pas les apports caloriques nécessaires au métabolisme exigeant de l’ours polaire. Quelques baies, caribous ou poissons ne suffisent pas à remplacer le lard de phoque, sa source principale d’énergie.
Autrement dit, l’adaptation est possible… jusqu’à un certain point. Sans glace de mer, l’avenir de l’ours polaire reste incertain — non pas par manque de volonté ou d’intelligence biologique, mais parce que son monde, littéralement, fond sous ses pattes.
Réagir intelligemment : au-delà du sauvetage ponctuel
Avant de déclencher une opération de relocalisation risquée, il faut se demander si une meilleure stratégie ne serait pas de protéger l’habitat des ours. Des organismes comme WWF et Polar Bears International collaborent avec les communautés inuites pour développer des politiques de conservation à long terme.
Mais la véritable solution n’est ni technique ni logistique : elle est politique et systémique. L’avenir des ours polaires passe par une réduction radicale de notre consommation, la transformation de notre rapport à la nature et la pression citoyenne sur nos gouvernements.
Conclusion
La gestion des ours polaires dans un monde en réchauffement est un défi complexe qui dépasse les simples questions de sécurité ou d’émotion. Il nous oblige à penser autrement notre place dans l’écosystème, à écouter les voix du Nord, à respecter les limites de la nature — et à agir maintenant. Car si la glace fond, ce n’est pas seulement l’Arctique qui recule… c’est nous tous.
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