Passages - Extrait du prologue
Note: Cet article vous donne un aperçu du format reportage enrichi que vous retrouverez dans l'espace Autour du feu que je lancerai début 2026. Pour comprendre le concept complet, lisez le manifeste.
L'espace «Autour du feu», actuellement en développement, vous ouvrira la porte de mon processus créatif : notes de terrain brutes, photos exclusives sans protection, clips immersifs (sons et atmosphères du territoire), chapitres de manuscrits en version reportage enrichie, et les coulisses authentiques de mes vagabondages.
Chaque mois, une expérience multimédia que le format imprimé ne peut offrir. Le matériau premier avant qu'il ne devienne récit. L'immersion complète dans mes territoires - Arctique, forêt boréale, partout où mon regard de vagabond se pose.
30$/an. Le prix d'un livre, pour une année de compagnonnage créatif.
Bienvenue dans ma vision, mes vagabondages, mon atelier.
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Le carnet d'un voyageur dans l'archipel arctique canadien - Prologue
Dans l'abri, une douce chaleur régnait. Une pierre traversée par une cavité concave, où brûlait l'huile du phoque tué la veille, projetait une faible lumière au centre de l'espace. Autour, un muret de pierres soutenait une structure d'ossements de baleine et de bois flotté qui formait la charpente. Elle était recouverte de peaux de caribou, jetées par-dessus et maintenues par des lanières de cuir, dont les extrémités étaient lestées de pierres pour les fixer. Le chasseur se leva et souleva la peau servant de porte, tandis que son épouse allaitait un jeune enfant. C’était une fraîche journée d'automne, une année que les civilisations futures appelleraient 73 avant Jésus-Christ. Mais pour le chasseur, l'année n'importait guère. Bientôt, la saison de la chasse au phoque commencerait. Il avait établi ce campement pour pêcher, tandis que le reste du clan se trouvait un peu plus loin, près de la baie. Dans quelques semaines, juste avant que l'eau ne commence à se figer, ce serait le bon moment pour la chasse au phoque : il serait bien gras, retardant le moment où il coulerait sous les coups fatals, permettant aux chasseurs de le récupérer.
Le chasseur se dirigea vers la berge du grand fleuve et mit son kayak à l'eau. Alors qu’il pagayait pour sortir de la petite baie et remonter le courant, un cri provenant du camp retentit. Un cri qui lui glaça le sang. Comprenant immédiatement ce qui se passait, il fit demi-tour et pagailla frénétiquement pour revenir. Ce fut une lutte contre le fleuve, les bras douloureux de tant de coups de pagaie, mais il ne pouvait ralentir. Il n'en avait pas le droit.
Lorsqu’enfin la pointe du kayak toucha la berge, il s'extirpa de son trou d'homme, sauta dans l'eau glacée et courut vers l'abri. Ce qu'il découvrit là, il ne l'oublierait jamais. Les peaux de caribou battaient au vent. Une partie de la structure en os et bois était dispersée au sol. Horrifié, il aperçut une traînée de sang contournant la petite falaise derrière le campement. Il suivit la macabre piste pour apercevoir Nanook, dont la fourrure du museau, du cou et des pattes avant était maculée de sang. Le corps de sa compagne gisait inerte aux pieds de l'énorme prédateur.
Le chasseur tomba à genoux et hurla sa rage. Nanook emporta sa proie derrière un rocher, disparaissant dans l'ombre. Le chasseur resta là, figé, dans la mousse arctique. Dans le regard de Nanook, il ne vit pas la haine, mais une froideur implacable, une loi qu’il ne pourrait jamais briser.
Ce campement ancestral, témoin d’un drame immémorial, m’attendait lui aussi. Un autre temps, une autre vie.
L'estuaire du fleuve Kangirsualujjuap Kuunga (rivière George) n'a probablement guère changé depuis 2000 ans.
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Voilà ! Mon sac est prêt. Après avoir enfilé mes bottes et ajusté mon nasak vert, un bonnet de laine offert par une Inuk, je mets mon sac à dos, chargé de mon matériel de bivouac, de nourriture et, bien sûr, de mon matériel photo.
Je me dirige vers la porte de la petite maison où je vis depuis mon arrivée au village. Dès que je franchis le seuil, le vent frais de l’automne m’assaille. Mais rien n'altère mon projet : retrouver un campement ancestral, perdu dans une baie isolée, et y passer quelques jours. Ces excursions en terres sauvages ne me sont pas étrangères. J'ai en main les notes d’Amélie, une amie archéologue, ainsi que des indications tirées d'une carte topographique.
- Quand tu arriveras dans la baie, cherche le site précis. Il n’a pas été visité depuis des années, m’avait dit Amélie la veille. Il ne reste qu’un cercle de pierres marquant l’emplacement d’un campement dorsetien vieux de 2000 ans.
- J'essaierai de penser comme un chasseur, de me mettre dans sa peau pour trouver l'endroit où il aurait posé son camp.
Je marche d’un bon pas, malgré le poids de mon sac. Il me faut plusieurs kilomètres pour atteindre la baie d’Ungava, puis retrouver cette petite baie. En pensant à cela, mes doigts cherchent instinctivement l’étui contenant ma carte topographique fixé à la bretelle de mon sac.
J’ai toujours rêvé de partir seul dans la toundra, de dormir sous les étoiles, même si l’idée d’une rencontre avec un ours polaire me glaçait. Le permis d’acquisition, en retard, m’a contraint à partir sans arme. La rivière Korok, non loin, est un corridor de migration des ours polaires, mais j’ai un talisman : une griffe d’ours polaire offerte par un chasseur.
Le vent me fouette le visage, la température est glaciale. À peine partis, mes mains se figent sous le froid, mais je résiste à l’envie d’enfiler mes gants en peau d’orignal, sachant que mon corps se réchauffera une fois que je serai bien en mouvement. Effectivement, à peine quitté le village, mes doigts retrouvent leur chaleur..
Je me dirige vers le campement de Minnie et Selima. Au printemps dernier, j’ai passé une journée avec ces deux Inuit, encore bien actives malgré leur âge. Mais à leur tente, personne ne répond.
Plus tard, j’arrive au rivage de la rivière Kangirsualujjuap Kuunga, la "rivière de la très grande baie". L’air est plus tranchant ici, mordant légèrement ma peau. Je consulte ma carte et, réalisant que j’ai atteint ma petite baie, je cherche le vestige du campement. Le souffle du vent, venu du nord, me pousse instinctivement vers un abri naturel formé par un contrefort rocheux. Là, sous mes pieds, un cercle de pierres dénudé de végétation. J’ai trouvé le vieux campement Tuniit.
À gauche, le campement de Minnie et Selima. À droite, mon bivouac installé près du cercle de pierres du campement Tuniit.
Comme eux, j’installe mon bivouac près du cercle, orientant la porte vers la rivière qui rejoint la mer de la baie d’Ungava. Le vent ne faiblit pas, mais le site est élevé. Je sais que la marée montante, même furieuse, ne me surprendra pas. Les esprits des anciens veilleront sur moi.
Après avoir sécurisé ma tente et rangé mes affaires, je prends un moment pour admirer les lieux. La lumière dorée du crépuscule enveloppe le paysage tandis que je me prépare à la soirée. Je fais chauffer de l’eau pour un thé, avant de m’allonger sur mon sac de couchage. Un livre sur la vie de Roald Amundsen me plonge dans ses exploits, et mes yeux suivent la lumière changeante de la toundra à travers l’ouverture de l’abri. Le vent fait vibrer les parois de ma tente, rythmé comme un tambour lointain.
« Fils d’un petit armateur, la mer s’était glissée en lui et coulait dans ses veines, comme elle l’avait fait pour son grand-père et son arrière-grand-père, tous deux pêcheurs. Les nuits d’hiver, il dormait dans son sac de couchage, la fenêtre de sa chambre ouverte, dans l’unique but de s’endurcir au froid. »
C’est au cours de son adolescence, alors qu’il assistait au retour d’expédition de l’explorateur et éminent scientifique norvégien Fridtjof Nansen, que le jeune Roald Amundsen décida de devenir, lui aussi, explorateur polaire, et « l’idée de franchir le passage du Nord-Ouest lui traversa l’esprit ».
Mais sur l’insistance de sa mère, il entreprit des études de médecine, du moins pendant quelques années. Lorsqu’elle décéda, son rêve reprit le dessus. Il quitta la faculté de médecine pour prendre la mer.
C’est en tant que plus grand explorateur polaire, qu’il passa à l’histoire.
L’Arctique, un nom qui résonne en moi et qui m’appelle depuis toujours. La dernière frontière, un territoire et son peuple qui nourrissent mon imaginaire. Et comme le jeune Amundsen, le monde polaire a toujours eu le même attrait sur moi. Mais contrairement à lui, je ne suis pas devenu explorateur, ni médecin d’ailleurs. Je suis plutôt un vagabond, toujours attiré par les grands espaces et l’inconnu. Un petit garçon qui rêvait d’aventures, puis qui s’organisait pour aller les vivre.
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Envie de lire la suite? Le prologue complet et l'intégralité des chapitres de Passages seront disponibles dans l'espace «Autour du feu» (lancement début 2026). Pour découvrir le projet : Lire le manifeste.
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