La Compagnie de la Baie d’Hudson : entre puissance commerciale et mépris
Derrière son image de pionnière du commerce canadien, une histoire d’exploitation et de conflits qui a marqué les peuples autochtones et les Canadiens anciens.
La célèbre Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) est aujourd’hui en déclin, et le Canada observe avec nostalgie la disparition de cette entreprise emblématique. Fondée en 1670 par Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart Des Groseilliers, deux explorateurs français passés au service de l’Angleterre, son histoire est bien plus nuancée qu’un simple récit glorieux.
Une Compagnie d’origine britannique
Tout d’abord, il convient de rappeler que la CBH n’a jamais été une entreprise canadienne à l’origine. Créée sous charte royale britannique, elle est restée sous contrôle britannique pendant des siècles. Toutefois, dans la deuxième moitié du XXe siècle, elle a brièvement appartenu à des intérêts canadiens avant de devenir américaine en 2008. Cette clarification est essentielle pour comprendre l’impact de la Compagnie sur l’histoire du Canada et de ses peuples.
L’exploitation des Premières Nations et des Canadiens-Français
Dès ses débuts, la CBH a exploité les Premières Nations, les Inuit ainsi que les Canadiens anciens, un terme que j'utilise pour désigner les Canadiens-Français et les Métis, qui constituaient une main-d’œuvre précieuse pour le commerce des fourrures. Il est important de rappeler que les descendants britanniques établis dans la colonie ne se sont désignés comme Canadiens qu’à partir de la Confédération en 1867, alors que ce terme était auparavant associé aux francophones.
Les Canadiens anciens, souvent assimilés aux Autochtones en raison de leur mode de vie adapté au territoire, travaillaient principalement pour la Compagnie du Nord-Ouest (CNO), une entreprise véritablement canadienne basée à Montréal et concurrente directe de la CBH. Toutefois, certains ont également été employés par la CBH, notamment après la fusion des deux compagnies en 1821.
La stratégie commerciale de la CBH reposait sur l'établissement de postes de traite en périphérie du territoire, évitant ainsi une implication directe dans l'exploration et l'occupation des terres intérieures. En revanche, la Compagnie du Nord-Ouest, qui employait presque exclusivement des Canadiens anciens, établissait ses postes de traite à l'intérieur du territoire, ce qui a favorisé la découverte et l'occupation de vastes régions. Pour améliorer son commerce, la CBH a cherché à intégrer ces Canadiens-Français expérimentés dans son réseau. Comme le souligne Thomas Hutchins, un gestionnaire de la CBH :
« Les Canadiens exercent une bonne influence sur les Indiens en adoptant leurs coutumes et en faisant d’eux des compagnons. »
Toutefois, à Londres, les dirigeants de la Compagnie désapprouvaient cette proximité entre leurs employés et les peuples autochtones. Contrairement à la Compagnie du Nord-Ouest, qui encourageait les alliances matrimoniales avec les Autochtones, la CBH interdisait formellement ces unions, estimant qu'elles détournaient les ressources et nuisaient aux profits. Pourtant, à la fin du XVIIIe siècle, la pratique du mariage entre employés de la CBH et femmes autochtones s’était répandue, souvent selon la « coutume du pays », intégrant des éléments des cultures autochtones. Certains dirigeants de la CBH, comme George Simpson, gouverneur de la Terre de Rupert au XIXe siècle, exploitèrent ces unions de manière opportuniste, considérant les femmes autochtones comme des biens échangeables, ce qui témoigne d’une mentalité coloniale méprisante profondément ancrée.

Canot manœuvré par des voyageurs passant une chute d'eau (Canada), par Frances Anne Hopkins, 1869. (Image : Bibliothèque et Archives Canada)
Une politique d’exploitation durable
L’exploitation des peuples autochtones ne s’est pas arrêtée à cette époque. Jusqu’aux années 1980, la CBH a maintenu les trappeurs et les Autochtones dans un état de dépendance économique grâce à un système de crédit inéquitable. En imposant des prix élevés pour les marchandises essentielles tout en sous-payant les fourrures, la Compagnie assurait un cycle de pauvreté et de servitude économique.
Le rôle de la CBH dans la propagation de la variole
Un des aspects les plus sombres de l’histoire coloniale en Amérique du Nord est l’utilisation présumée de couvertures contaminées par la variole pour affaiblir les peuples autochtones. Il est avéré que cette tactique a été employée par des officiers britanniques durant la guerre de Pontiac en 1763. Certaines sources suggèrent que les couvertures de la Compagnie de la Baie d’Hudson ont pu jouer un rôle dans la propagation de la maladie parmi certaines communautés autochtones, bien qu’aucune preuve irréfutable ne démontre une intention délibérée de la CBH dans ce processus. Par ailleurs, au XIXe siècle, certains employés de la CBH, comme William Todd en 1837-1838, ont pris l’initiative de vacciner des peuples autochtones contre la variole, contribuant ainsi à limiter la propagation de l’épidémie dans l’Ouest canadien.
Une mémoire à nuancer
Si la CBH est souvent perçue comme une institution pionnière du commerce et du développement économique au Canada, son héritage est entaché d’injustices et d’exploitation. Son rôle dans la marginalisation des peuples autochtones et des Canadiens-Français ne peut être ignoré. Aujourd’hui, alors que la Compagnie se meurt, il est essentiel de se souvenir de son histoire dans toute sa complexité, sans occulter les pages sombres de son passé.

Une réflexion sur l'héritage de la CBH : Entre patrimoine, nature et conscience critique
L'attrait pour les artefacts historiques de la Compagnie de la Baie d'Hudson, tels que ses célèbres couvertures de laine, est compréhensible, non seulement pour l'amour de l'histoire et du patrimoine, mais aussi pour un voyageur comme moi, passionné par les régions sauvages. Ces couvertures, à la fois symboles d'une époque révolue et d'une époque de commerce florissant, éveillent en moi un lien avec les terres que j'ai parcourues, souvent traversées par les traces laissées par la Compagnie.
Cependant, en y réfléchissant davantage, je me rends compte que cet attrait est inextricablement lié à l'héritage colonial de la CBH. Bien que ces couvertures puissent être perçues comme un simple objet historique, leur production et leur circulation sont indissociables d'une histoire d’exploitation des peuples autochtones et de marginalisation des Canadiens-Français. Cette prise de conscience me fait hésiter à acquérir un tel objet, non pas pour renier l'histoire, mais pour respecter ceux qui en ont été les victimes.
Cela soulève un dilemme : comment concilier l'admiration pour un aspect de notre patrimoine avec la reconnaissance des injustices qu'il incarne encore aujourd'hui ? Cette réflexion m'amène à prendre du recul, soulignant l'importance de nuancer l'héritage de la CBH : un symbole de commerce et de développement, mais aussi un rappel d'une violence historique. En tant que voyageur des régions sauvages, je trouve ce dilemme particulièrement poignant, car il me rappelle que les paysages que j'aime arpentés portent eux aussi les traces de cette histoire complexe et parfois douloureuse.
Mais cette réflexion a réglé le dilemme pour moi. Ce matin, le 18 mars 2025, alors que je pesais encore le pour et le contre, les dernières couvertures ont été vendues.
Un signe du destin ? Peut-être. Mais surtout, une prise de conscience.
Pour aller plus loin:
Ces références permettent d’explorer en profondeur l’histoire de la CBH, ses pratiques commerciales et ses conséquences sur les peuples autochtones et les Canadiens-Français.
1 - Canadian Geographic – L’histoire inédite de la Compagnie de la Baie d’Hudson: https://canadiangeographic.ca/articles/lhistoire-inedite-de-la-compagnie-de-la-baie-dhudson/
Un regard sur l’impact historique de la CBH, y compris son rôle dans l’exploitation des territoires et des peuples autochtones.
2- Université Concordia – Sociolinguistique et colonialisme : https://uoh.concordia.ca/sociolinguistique/module2/module2_12.html
Analyse des impacts linguistiques et culturels du colonialisme, avec un regard sur l’influence des entreprises comme la CBH.
3- L'Encyclopédie canadienne – Les postes de traite de la CBH: https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/postes-de-traite-de-la-hbc-au-canada
Détails sur le réseau de postes de traite et les interactions avec les peuples autochtones.
4- Parcs Canada – Le monopole de la CBH et son impact sur les Autochtones: https://parcs.canada.ca/lhn-nhs/mb/forks/culture/histoire-history/hudson
Exploration du rôle de la CBH dans le contrôle du commerce et les conséquences sur les communautés autochtones.
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