À la rigueur de tous les temps - partie I

Premier article d’une série sur les principes de thermorégulation appliqués aux voyages en territoires sauvages et sur les propriétés des différents matériaux de vêtements de plein air, incluant quelques déboulonnages de mythes.

«Pauvre’ voyageur que t’as d’la misère! Souvent tu couches par terre ;
À la pluie, au mauvais temps, À la rigueur de tous les temps!»

Dans les chantiers nous hivernerons. Chansons folklorique du Canada

L’ancêtre de l’humain, le genre «Homo» en biologie, parcourt la surface de la Terre en tant que chasseur-cueilleur depuis plus de 1,8 millions d’années. L’humain moderne, déconnecté de son environnement naturel, est pourtant conçu pour vivre dehors et parcourir les grands espaces. Après tout il a passé 99,4% de son histoire en tant que chasseur-cueilleur. Si aujourd’hui on a qu’à peser sur un bouton au mur pour ajuster la température ambiante, notre corps demeure avant tout une belle machine à évoluer dans la nature, étant ultra adapté au mode de vie de nos ancêtres. Il existe de multiples évidences qui supposent d’ailleurs que la plupart des maladies physiques et psychologiques qui nous affectent résultent du changement rapide que l’agriculture en premier, suivie récemment par l’urbanisation, a provoqué comme mode de vie au cours des 0,6 derniers % de notre histoire.

Étant originaires des zones plus chaudes de l’équateur, nous avons, au cours des âges, délaissé notre fourrure pour plutôt développer notre capacité à nous refroidir et ainsi réguler notre température corporelle. Le Bouclier canadien étant loin d’être un environnement équatorial, nous n’avons pas le choix de nous recouvrir de vêtements pour nous protéger du froid et des intempéries, de nous nourrir et de nous hydrater. Les vêtements, la nourriture et l’eau sont les trois éléments essentiels à notre survie, avec l’oxygène, bien sûr.

Commençons donc par le rappel de quelques principes.

Tout d’abord, un corps échange sa température avec l’environnement dans lequel il se trouve pour tenter de s’équilibrer. Ainsi une tasse de café chaud échange de sa chaleur avec la pièce. Mais comme le volume de la pièce est si grand, la chaleur du café se dissipera dans la pièce et deviendra imperceptible jusqu’à ce que l’équilibre soit atteint. Votre café sera à température pièce. Pour ne pas subir le même sort que notre café, nous devons produire de la chaleur, comme un poêle à bois. La nourriture et notre métabolisme sont les deux éléments permettant à notre poêle à bois de produire de la chaleur.

La chaleur quitte notre corps de plusieurs façons:

  • La conduction: Quand notre corps est en contact direct, de surface à surface, avec un élément plus froid, il y a un transfert de chaleur par conduction. C’est le principe actif quand on touche de la glace ou que nous sommes immergés en eau froide. La conduction est 25 fois plus rapide lorsqu’un corps est humide plutôt que quand il est sec.
  • La convection: Lorsqu’un corps réchauffe l’air qui lui est adjacent, cet air s’élève et s’éloigne du corps pour être remplacé par de l’air plus froid. Le processus d’échange de chaleur avec ce nouvel apport d’air frais est constamment renouvelé. C’est le principe d’un calorifère électrique et d’un poêle à bois en métal (le métal utilisera, dans une moindre mesure, la propriété suivante). C’est aussi pourquoi le vent augmente la vitesse de la perte de chaleur par convection lorsqu’il entre en contact avec la peau.
  • La radiation: Les éléments émettent plus ou moins de rayons infrarouges. On les appelle rayons thermiques parce qu’ils sont ressentis sous la forme de chaleur. Le soleil d’une belle journée du mois de mars nous donne la sensation qu’il fait plus chaud même si le thermomètre indique une température de l’air similaire à la journée précédente qui était nuageuse. Le soleil nous irradie de rayons infrarouges et nous réchauffe. Le feu de camp ou un rocher chauffé par le soleil ont le même effet alors qu’au contraire, une nuit noire, un bloc de glace ou un rocher glacé vont nous donner une sensation de froid, car c’est nous qui les irradions de rayons infrarouges. Avez-vous remarqué comment pour des convives autour d’une table, ceux qui sont assis devant une fenêtre, la nuit, auront plus froid même si la fenêtre ne laisse passer aucun courant d’air (convection) que ceux qui sont devant un mur? Notre corps irradie les rayons infrarouges avec le noir de la nuit.
  • L’évaporation: Quand l’humidité s’évapore, elle entraîne de la chaleur avec elle. Lors de mes expéditions dans le Sahara, nos chameliers enveloppaient les bidons d’eau de jutes mouillées. En s’évaporant, l’humidité entraînait de la chaleur et gardait donc nos bidons d’eau plus frais.

Pour nous isoler du froid, nous devons contrôler ces quatre phénomènes. Nous le faisons en contrôlant l’humidité, en étant protégés du vent et en retenant la chaleur que l’on produit dans un espace d’air sans mouvement; l’isolation. Cet air est réchauffé par la chaleur dégagée par notre corps par rayonnement, conduction et convection, et permet de maintenir un microclimat chaud autour de notre corps. C’est la fonction de nos vêtements et d'un sac de couchage.

Conduction, convection, radiation et évaporation

Si les premiers peuples d’Amérique ne pouvaient compter que sur le cuir et la fourrure animale pour se vêtir et se protéger, il en est autrement aujourd’hui. Nous n’avons jamais été exposés à autant de choix de matériaux et de vêtements au cours des âges. Si les tissus modernes, fabriqués à base de pétrole, sèche rapidement, sont légers et peu encombrants, ils nous rendent dépendants de l’industrie du pétrole — on sait comment cette dépendance cause du tord à la planète — en étant peu résistants et en s’appuyant sur de plus en plus de nouveautés pour combler leurs lacunes. L’une des plus grandes ironies de la vie en plein air est parfaitement symbolisée par l’omniprésence des équipements et des vêtements de plein air synthétiques qui dépendent des industries pétrochimiques. Les vêtements synthétiques sont des produits polluants. Ils créent de la pollution lorsque le pétrole est extrait, puis quand ils sont fabriqués, et ils polluent lorsqu’ils se retrouvent aux poubelles. C’est, en fait, un produit doublement négatif. Ils s’usent facilement, mais ne se décomposent jamais une fois jetés. Bien sûr, les produits organiques ont une histoire remplie d’horreurs sur le plan de la pollution et de l’exploitation des êtres humains. Néanmoins, il est au moins possible de fabriquer des produits en fibres naturelles de manière responsable, et les matières premières utilisées sont, au mieux, renouvelables et sont, au pire, compostables. Par rapport aux vêtements issus de la pétrochimie, les produits en fibres naturelles sont, de loin, les plus inoffensifs.

Mais passons outre ces considérations sociales et environnementales pour le moment et concentrons-nous sur l’aspect fonctionnel.

Les vêtements synthétiques nous sont vendus à coups de campagne de marketing savamment orchestrée. Ces campagnes jouent sur deux aspects de notre pratique du plein air.

  • 1 — Si, il y a quelques décennies, le plein air était pratiqué par des passionnés qui s’en étaient fait un mode de vie, aujourd’hui il est pratiqué par un plus grand nombre, mais qui le pratique comme loisir parmi tant d’autres? La personne moyenne ne joue plus dans les bois pendant de longues périodes de temps. Dans les années 1930, les guides de plein air évaluaient à un mois la durée d’un voyage typique dans la nature sauvage. Dans les années 1970, la durée était de 10 jours. Au début des années 1990, il est tombé à cinq jours. Aujourd’hui, le voyage type ne dure plus que deux jours. Les études de marché de la SEPAQ montrent que la majorité des usagers veulent des petits circuits, faciles et fortement aménagés. Ils font du kayak de mer une fin de semaine, de la randonnée, la suivante et du vélo lors du prochain voyage en auberge dans les Cantons-de-l’Est. Chaque minute d’une activité doit être bien utilisée à savourer l’expérience qu’on leur a vendue. L’efficacité prime et elle vient avec de la technologie, ce qui va introduire le deuxième aspect de notre pratique du plein air.
  • 2 — Nos vêtements doivent nous garder au sec, être légers, sécher rapidement et nous propulser vers les plus hauts sommets, au sens propre comme au figuré. Les matériaux synthétiques nous sont vendus avec l’unique but de nous faciliter la vie afin de rendre l’expérience agréable, facile, rapide et requérant le moins d’interaction possible avec l’environnement. Nous sommes des visiteurs de la forêt comme nous en sommes dans un musée d’histoire naturelle. On nous cantonne sur un sentier bien balisé, derrière une petite clôture et le nombre de kilomètres avant le retour pour le BBQ sur la terrasse du chalet doit être bien inscrit sur des pancartes. Il ne faudrait pas rater l’apéro.

«Ces zones de «plein-air» sont essentiellement des centres récréatifs aménagés dans des îlots artificiels dont la nature est la toile de fond.»

Les activités de plein air modernes sont de plus en plus des sports essentiellement physiques et de performances athlétiques dans des environnements hyper contrôlés. Souvent une transposition de la culture de l’alpinisme de haute montagne, elles se pratiquent dans des «zones de nature» relativement petites qui ont été préservées politiquement et aménagées pour que l’humain urbanisé ne se sente pas trop dépaysé lors de ses visites-éclairs planifiées et réservées en ligne, dans un néo-Disney World. Ces zones de «plein-air» sont essentiellement des centres récréatifs aménagés dans des îlots artificiels dont la nature est la toile de fond. Un parc d’attractions où la forêt a remplacé le décor de papier mâché. On y voit de plus en plus d’infrastructures pour accueillir le maximum de gens, au détriment de la raison d’être de ces parcs. D’ailleurs le terme «parc» fait un peu trop référence à un endroit récréatif dont l’existence est de répondre aux besoins de l’humain et non pour l’existence même de la nature et de la biodiversité.

L’industrie du plein air carbure à la nouveauté et à l’hyperconsommation. Ceux qui ont vraiment besoin d’un manteau en Gore-Tex à 700$ sont une minorité. Pourtant il est effarant le nombre de Gore-Tex d’expédition croisés lors d’une activité de plein air ou même sur les trottoirs de la ville. Même chose pour les souliers de course spécialisés et les collants moulants qui ont plus leur place sur une piste d’athlétisme que dans la forêt. À cela s’ajoute la frénésie visuelle sur les réseaux sociaux qui n’est pas étrangère à ce phénomène de mode qu’est «la culture du collant».

Ceci dit, les matériaux synthétiques haut de gamme performent généralement assez bien pour ceux qui entreprennent une expédition où l’on doit maximiser ses chances d’atteindre les objectifs visés. Pour ces athlètes de l’aventure qui poussent la machine à la limite, souvent commandités par les grandes marques, la sécurité et l’efficacité sont les priorités. Que le vêtement de Gore-Tex soit détruit au retour d’expédition, cela importe peu. Pour la compagnie le fabriquant, l’important est qu’ils vendront ce même type de vêtement à des milliers de personnes qui n’en auront pas besoin, mais qui se sentiront en sécurité. Si un alpiniste ambassadeur d'une grande marque est revenu indemne de son expédition à l’Everest c’est sûrement grâce à ses vêtements, alors mes vêtements feront le travail pour ma prochaine excursion au mont Saint-Hilaire, dimanche prochain.

Une coquille de Gore-Tex demeure utile et pertinente dans des situations particulières.

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