Manifeste d'un vagabond
« Au bivouac, on regarde un feu de bois comme s'il allait nous dire quelque chose. »
Sylvain Tesson
À 14 ans, mes parents m’ont offert un livre que j’ai chéri et conservé précieusement. Je l’ai relu à plusieurs reprises, notamment assis devant la porte d’un vieux camp de trappeur. Avec mon cousin Richard, nous arpentions la forêt, cherchant à imiter les personnages du livre de Paul Provencher, Le dernier des coureurs des bois.
Le dimanche, nous allions rendre visite à mon grand-père. Assis dans son fauteuil, fumant sa pipe, il me racontait ses aventures à travers monts et vallées, aux quatre coins du Canada. C’est dans cette culture que j’ai grandi : celle des coureurs des bois et des travailleurs forestiers du début du XXᵉ siècle.
Peu à peu, j’ai réuni l’équipement nécessaire pour partir à mon tour en forêt. Inspiré par les récits de Paul Provencher, j’ai privilégié un matériel traditionnel, lourd et encombrant, semblable à celui des hommes qui ne partaient pas pour un week-end, mais pour des semaines, voire des mois. Mes premiers repas en forêt ont été cuisinés sur un feu de camp, et mon abri reposait sur un tapis de branches d’épinette, inclinées à 45˚, diffusant leur parfum résineux.
Puis, je me suis procuré un canot pour explorer plus loin — et un tapis de sol. J’ai sillonné rivières, lacs et portages, parfois seul, souvent en famille. Joanie portait encore des couches lorsqu’elle nous a accompagnés pour la première fois. J’ai dormi sous la tente prospecteur avec des amis Atikamekw, encore une fois sur un lit de branches d’épinette. À Paul Provencher se sont ajoutés les livres et les films de Bill Mason. Pour moi, le canot demeure la plus belle invention pour parcourir l’arrière-pays du Bouclier canadien.


Un nouveau terrain d’aventure
Mais la montagne m’a appelé. J’ai découvert l’escalade de rocher et de glace, puis l’alpinisme. C’est à ce moment-là que j’ai délaissé le matériel traditionnel pour adopter des équipements haute technologie. Il s’agissait autant d’une recherche de performance que d’un impératif de sécurité : progresser vite dans un environnement plus exposé. Les matériaux sont devenus plus légers, imperméables mais respirants, à séchage rapide. Nos sacs s’allégeaient, et nous avancions toujours plus vite, couvrant un maximum de terrain.

«La construction de camps permanents ne m’intéresse pas. Je suis un nomade des temps modernes et je veux le moins d’interférence entre moi et la voûte des arbres.»
Avec le temps, pourtant, j’ai ralenti. Aujourd’hui, je ressors mon vieux matériel de montagne aux couleurs criardes. Le bruit du nylon m’agresse. Mes vêtements synthétiques fondent au moindre contact avec une étincelle. Et, par choix autant que par nécessité, je prends mon temps. Les sommets m’attirent moins à mesure que mes jambes s’alourdissent.
J’ai envie de réintroduire du low-tech, de progresser lentement — go-slow. De cuisiner à nouveau sur le feu, d’abandonner la nourriture lyophilisée industrielle au profit d’aliments frais ou déshydratés maison.
Loin des modes et du superflu
Je veux alléger mon sac tout en intégrant des matériaux naturels, sans tomber dans le piège des tendances éphémères que l’on voit sur les réseaux sociaux. Le bushcraft a son essence noble, mais sa version sensationnaliste entraîne trop souvent des dommages irréversibles sur des sites naturels. Construire un abri de survie est une technique énergivore et rarement nécessaire pour qui part en forêt avec un minimum de préparation. En cas d’imprévu, une simple bâche suffit à passer une nuit confortable. Ce que j’ai appris dans ma jeunesse me servira toujours.


Je ne veux ni chaise, ni table de bois. Je préfère m’asseoir à même le sol, poser la tête sur mon sac. Rester mobile. Laisser le minimum de traces. La construction de camps permanents ne m’intéresse pas. Je suis un nomade des temps modernes et je veux le moins d’interférence entre moi et la voûte des arbres.
Mon réchaud brûle des branchages trouvés au sol ou du petit bois mort. Il ne laisse pas de traces. Et si je me sens paresseux ou que le risque d’incendie est trop élevé, j’utilise un petit réchaud à alcool, presque sans poids.
Je n’ai aucune envie de marcher sur les trottoirs de bois des parcs nationaux, où les infrastructures se multiplient pour accueillir les aventuriers du dimanche. Je veux m’éloigner des stationnements et des sentiers populaires menant aux sommets où l’on se presse pour un énième égoportrait Instagram.
Il reste encore quelques sentiers de longue randonnée où l’immersion est possible. Le Sentier international des Appalaches, en Gaspésie, me tente. Mais j’ai aussi envie de retrouver d’anciennes pistes abandonnées par la SEPAQ, celles des années 50, 60 et 70, délaissées parce qu’elles ne cadraient plus avec un plan d’affaires.
Je retourne aux sources. Je marche moins vite, mais je m’inscris pleinement dans le territoire. Mes randonnées de 20 à 30 kilomètres par jour ont laissé place à une dizaine de kilomètres, ponctués de longues pauses pour m’imprégner du lieu. La nature, les montagnes, les rivières et la mer sont toujours le canevas de mes histoires, mais mon rythme a changé. Il est devenu celui de la contemplation, de la poésie, de l’art et de la quiétude.
Et quoi de mieux qu’une théière sur le feu pour m’occuper, tandis que mon manteau en coton ciré sèche après la dernière pluie ?
L’épilogue du vagabond
Après une journée d’errance, le vagabond arrive au détour d’une rivière cachée au fond des bois. Il déroule son paqueton, étend sa toile de sol et garde sa couverture de laine roulée à un bout. Il entasse quelques pierres bien choisies et allume un feu qui réchauffera l’air frais du soir autant qu’il cuira la viande sortie de son sac.
Il retire ses chaussures, s’assied devant les flammes. Derrière les montagnes, la lune émerge et fait miroiter la surface de l’eau.
Le temps s’étire. Les étincelles du regard répondent à celles du feu, et les pensées s’élèvent dans la nuit avec les volutes de fumée.
Sylvain Tesson écrit : « Au bivouac, on regarde un feu de bois comme s'il allait nous dire quelque chose. »
Toute ma vie, j’ai regardé les feux de bivouac, attendant peut-être une réponse. Aujourd’hui, je comprends qu’il ne s’agit pas tant d’attendre que d’écouter. La réponse est dans le crépitement des flammes, le murmure de la rivière, le silence de la nuit. C’est alors que surgissent parfois des réponses inattendues.
Et cela suffit.
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