La cabane, un refuge dans la tempête
Entre deuil, silence et résilience, un répit à l’abri du monde, où le calme de la forêt répond aux tempêtes de l’âme.
Récit issu d’une démarche d’écrivain-reporter visuel.
Texte et photographies : Marc-André Pauzé
Mars 2025 - Vincent et moi montons à la cabane. Un épais tapis de neige recouvre le sentier. Une fois à la cabane, nous allumons le poêle avant de nous installer pour dîner. Puis, je vais sur le lac pelleter pour avoir accès à la glace et faire un trou pour puiser l’eau. À ma grande surprise, je découvre 25 cm d’eau libre sous la couverture de neige et par-dessus la glace qui, il n’y a pas si longtemps, recouvrait le lac. Je n’ai pas besoin de la casser pour puiser l’eau.
À mon retour à la cabane, je donne un coup de main à Vincent pour débiter et fendre des bûches d’une épinette que nous avions coupée l’an passé. Sa partie supérieure est toujours suspendue entre les arbres, soutenue par ses branches enfouies dans la neige.
Vers 16h00, Vincent repart et me laisse seul passer la nuit en forêt. Après les dernières semaines intenses que je viens de vivre suite au décès de ma mère, cette retraite m’est bénéfique. J’ai de l’eau, et la boîte à bois est pleine. Au mur est suspendu mon sac de nourriture. Je m’apaise tranquillement.
Je mets le pâté chinois à décongeler et à réchauffer dans la casserole de fonte, que je dépose sur la braise du poêle après avoir repoussé le feu vers le fond.

Le jour s’éteint graduellement, teintant le ciel et la neige de teintes pastels. La température descend brutalement. Le poêle ronronne dans la petite cabane en bois, tandis que la cime des arbres se balance sous le vent. Avec ma tasse de thé sur la joue, je fixe la chandelle devant moi. Sa flamme vacille, à l’image de la fragilité du monde, mais sa chaude lumière, si petite soit-elle, représente aussi l’espoir que notre monde ne bascule pas davantage.
Cet hiver en entier aura été marqué par l’intensité : la fracture subie par ma mère, son décès, les funérailles… et à mon retour de la cabane, une suite d’événements imprévus qui allaient nous plonger dans une nouvelle série de décisions et de bouleversements, menant jusqu’au décès de Jean-Pierre, le père de Nathalie. Nous avons été happés par l’urgence, bousculés sans relâche.
Je pourrais me laisser envahir par cette pression et cette peur de manquer de temps. Pourtant, nous ne devons jamais laisser ces instants confiner nos esprits. S’il y a une chose que mes voyages m’ont apprise, c’est que la peur est une énergie avec laquelle il faut composer, non une force à laquelle il faut céder. De toute façon, elle est souvent une bien piètre conseillère.
Lorsque je voyage, que ce soit sur le territoire ou à l'étranger, et qu’il ne reste que deux jours avant le retour, je me sens en transition — pas encore parti, mais plus tout à fait présent. C’est une attente tranquille, où le temps s’étire doucement. J’apprécie ce flottement, ce ralentissement intérieur. Contrairement à l’urgence fébrile de tout voir ou tout faire, il s’agit là d’un apaisement : savoir s’arrêter, être simplement là.
Le voyageur-aventurier n’est pas un agité. Il sait quand marcher, et quand rester assis sur son cul. Je me souviens de ces dernière journée en Afrique, passée dans un petit café, à regarder les passants. L’aventure ne réside pas toujours dans ce qu’on poursuit, mais parfois dans ce qu’on laisse venir à soi.

À gauche, à Madagascar. À droite, en Tunisie. Photos N. Sentenne
L’esprit est un merveilleux outil d’évasion et de liberté. L’aventure, avant tout, est un état d’esprit.
Plus jeune, je recherchais l’aventure, l’exploit. Dès qu’un congé se présentait, je fonçais en montagne avec mon ami Yves pour des courses nous menant aux limites de l’épuisement. L’action et l’adrénaline étaient comme un moteur qui me tenait en mouvement, comme une montre qu’on doit remonter pour qu’elle puisse continuer de donner l’heure juste, pour être au diapason de sa raison d’être. Je croyais que c’était cela, se sentir vivant. Mais en réalité, c’était un vide que je cherchais à combler, une soif d’intensité que je pensais trouver dans la difficulté et la fatigue.
Puis un jour, alors que nous gravissions une montagne dans les Adirondacks, au retour d’un autre voyage à Madagascar, j’ai craqué. Incapable d’avancer, je me suis assis sur une roche, le souffle court et le cœur lourd. Chaque mouvement me paraissait un effort insurmontable, mais là, sur ce rocher, une étrange sensation m’envahit : ce n’était pas l’épuisement physique qui m’arrêtait, c’était une fatigue intérieure, celle qui naît quand on se force trop longtemps à courir après quelque chose. Après plusieurs minutes, j’ai trouvé juste assez d’énergie pour revenir à la voiture, mais cette fois, je savais que ce n’était pas l’aventure que j’étais venu chercher, mais le retour à moi-même.
Au fil du temps, j’ai compris que l’adrénaline et la haute intensité devaient alterner avec des moments de basse intensité, comme un balancier intérieur qui oscille entre les deux. L’aventure ne résidait pas seulement dans la quête de performance, mais aussi dans la simplicité, l’écoute de soi et le calme intérieur, ces moments où l’on se retrouve à vivre en harmonie avec soi-même.
Ce jour-là, j’ai compris que l’aventure n’était pas une chose à traquer sans relâche. Elle se cache dans les recoins de l’esprit, et ensemble, ils ne font qu’un. Cette équipe silencieuse est une alliée fidèle, toujours prête à nous faire parcourir les sentiers les plus exotiques. Encore faut-il accepter sa présence et la prendre par la main.
« Les prisonniers qui savent se repaître de la beauté du lichen, de l’ingéniosité de l’argiope ou, comme Soljenitsyne, du chant d’un oiseau sur le rebord d’une lucarne supporteront mieux l’isolement. Aurait-il survécu à la camisole, le vagabond des étoiles de London, s’il ne s’était pas jeté passionnément dans l’étude des mouches qui se repaissaient de ses larmes? Ouvrir les yeux est un antidote au désespoir. »
— Sylvain Tesson, Petit traité sur l’immensité du monde (2005)
Vers 20h30, je m’étends dans mon sac de couchage pour lire jusqu’à ce que mes paupières deviennent trop lourdes. Je sombre dans un sommeil profond.
Je me réveille à 06h00. Une lueur transperce la nuit. Je somnole jusqu’à 07h00, puis je me lève pour allumer le poêle. Il fait -5 °C dans la cabane. Une couche de glace recouvre le seau d’eau. J’ai tôt fait de me cuire des saucisses et des œufs pour déjeuner.
Dehors, le froid est encore là, mordant, mais sec et supportable. Il est descendu à -26 cette nuit et là il peine à remonter en haut de -20. Le soleil de mars, bien que bas sur l’horizon, irradie déjà une sensation de chaleur que le thermomètre ne montre pas. Il projette une lumière dorée sur la neige gelée. Une fois de retour à l’intérieur, la chaleur du poêle se mêle doucement à celle du matin qui entre par la fenêtre. Je refais les gestes simples : chauffer l’eau, préparer les œufs, faire la vaisselle, balayer le plancher, remplir la boîte à bois. Chaque tâche, si anodine soit-elle, règle à nouveau le métronome intérieur.
Cet hiver, j’aurais voulu vivre une vraie journée de blizzard à la cabane, une tempête féroce au fond de la forêt sauvage. Un déchaînement des éléments, comme un miroir à ce que je portais en moi.
Mais ce n’est pas la neige ni le vent qui ont bousculé mes repères. C’est une bourrasque d’émotions, de décisions, de départs. Une tempête intérieure. Et paradoxalement, c’est ici, sans le tumulte attendu, que j’ai trouvé refuge. La cabane m’a offert l’abri qu’il me fallait — non pas contre les éléments, mais comme une halte essentielle entre ce qui fut et ce qui vient. Un temps suspendu. Une respiration.

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Note sur la démarche
Ce récit s’inscrit dans une approche d’écrivain-reporter visuel, alliant rigueur journalistique, écriture immersive et photographie documentaire. Chaque image, chaque texte, est né d’une expérience vécue, où j’étais non seulement témoin, mais aussi partie prenante de l’histoire.
Explorer. Comprendre. Raconter. — Ce mantra guide ma pratique depuis toujours.
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Photographie documentaire et collaborative | Journalisme narratif et écriture