Regarder pousser son riz
Quand le voyage demande à être vécu plutôt que capturé
Au détour d’une vallée invisible depuis la route, nous avons découvert l’accueil d’un village, la lenteur d’un geste ancestral et une expérience troublante. Ce récit, tiré du projet Humani Afrika, raconte ce que le voyage offre quand on choisit de vivre plutôt que de capturer.
Texte et photos: M-A Pauzé
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Après que notre chauffeur, José, nous eut déposés le long de la route, à 35 km d'Antananarivo, la capitale de Madagascar, Claude et moi, nous nous sommes enfoncés dans la forêt sous le regard incrédule du Malgache. En juin 2003, à la fin d'un autre séjour à Madagascar, un collègue et moi avions un projet un peu fou. Le plan était pourtant assez simple quoique rempli d'inconnu. Nous devions nous rendre au-delà du village de Carion, sur la route vers l'est et nous engager dans la forêt afin de rejoindre le fond d'une vallée parallèle à la route pour suivre le chemin de fer jusqu'à Tana. Nous espérions trouver un endroit où dormir à Carion et continuer vers la capitale le lendemain.
Au bout de quelques dizaines de minutes dans la forêt, nous avons débouché au sommet d'une colline. La vue qui s'offrait à nous était d'autant plus spectaculaire que nous sommes tombés pile sur un endroit pour rejoindre la vallée parallèle. Devant nous, une pente assez raide donnait accès, après la traversée d'un boisé, à une petite vallée secondaire. Au bout de celle-ci se trouvait la vallée principale. Au fond, des champs de riz en terrasses, des petites maisons de paysans, pas de route, du soleil et une petite brise pour nous rafraîchir de la chaleur intense.
Nous avons décidé d'y aller. La descente se fit bien, bien qu'elle exigeât de la concentration. En bas, nous avons longé les rizières en terrasses où l'eau des canaux d'irrigation captait les derniers reflets du soleil. Assis sur le rebord de terre de l'une d'entre elles, un paysan en lambahoany regardait pousser son riz.
C'est là que réside la principale différence entre la randonnée en montagne et le trek : la touche humaine et relationnelle du deuxième. Passer près d'une rizière combien de fois centenaire où un vieil homme regarde pousser son riz sous le soleil de fin de journée. Observer les détails architecturaux des habitations des paysans qui vivent ici un quotidien rythmé par les saisons. Entrer dans un nouveau village et aller vers les gens, découvrir leurs gestes immémoriaux. Explorer le monde et ses mystères...
Rendus au village, nous nous sommes informés où passer la nuit. On nous conduisit vers le tangalamena, le gardien du village. Il nous prit en charge et déclencha une série d'interventions pour pouvoir nous héberger. Plusieurs personnes s'offrirent à nous laisser une petite pièce de leur maison, selon la tradition malgache de l'hospitalité. Finalement, nous avons abouti chez Monsieur Roland, qui me donna la clé de sa maison.
La pièce où il nous installa semblait être la dépense. Une grande natte recouvrait le plancher de ciment, des poches de riz placées dans un coin, des grappes de bananes dans un autre. La pièce avait deux portes de bois donnant sur la rue et une autre sur la cuisine où s'affairait l'épouse de Roland. Sur un des murs extérieurs, une fenêtre fermée par un panneau de bois pouvait faire entrer un peu de lumière. Les murs de maçonnerie étaient épais. C'était probablement de la brique recouverte de pisé, un mélange de boue et d'herbes.
À droite: La vallée où nous sommes descendus en sortant de la forêt. À droite: Préparation de notre repas de riz et légumes chez Roland.
N'ayant pas de sacs de couchage, nous nous sommes installés avec nos quelques vêtements supplémentaires sur la paillasse. J'avais un tapis de sol que nous avons mis de travers afin que nos torses soient isolés du sol, à tous les deux.
Claude et moi avons su nous adapter à la fraîcheur de la nuit malgré nos conditions spartiates, trouvant même un certain confort dans cette simplicité.
Ayant dormi près de cinq heures, je ne retrouvai plus le sommeil. Il faisait un noir TOTAL dans la pièce. Même avec l'adaptation au noir, « il faisait noir comme dans l'cul d'un zébu ». Pourtant je perçus une lueur blanche sous mon manteau comme s'il y avait une lampe de poche d'allumée. J'eus beau cligner des yeux, la lueur était toujours là, irradiant devant mon regard. Étant couché sur le côté, elle semblait provenir de plus bas, comme de mon thorax !
Par contre cette lumière n'éclairait pas les objets. Je ne distinguais même pas ma main devant les yeux. Peu importe le côté où je me couchais, c'était présent. Était-ce une hallucination ou une illusion formée par l'empreinte de la lumière dans mon œil ? Je ne me posai pas d'autres questions et savourai l'expérience.
Vers six heures, après m'être assoupi encore un peu, je sortis voir le village s'éveiller. À côté de sa gargote, le tangalamena était assis près d'un feu de bois mort. Je vins le rejoindre et il m'invita à m'asseoir sur une roche à côté de lui. Dans la pénombre d'un nouveau jour, nous sommes restés silencieux à nous réchauffer près des flammes. Il me servit du kafe gasy qu'il venait de faire. Plusieurs habitants du village vinrent nous rejoindre et prirent eux aussi un café bien chaud filtré dans un bas de laine, avant d'aller aux champs. Dans cette communion silencieuse du petit matin, j'aurais bien aimé prendre la scène en photo, mais je préférai la vivre plutôt que de retourner chercher ma caméra...
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Note sur la démarche
Ce récit s’inscrit dans une approche d’écrivain-reporter visuel, alliant rigueur journalistique, écriture immersive et photographie documentaire. Chaque image, chaque texte, est né d’une expérience vécue, où j’étais non seulement témoin, mais aussi partie prenante de l’histoire.
Explorer. Comprendre. Raconter. — Ce mantra guide ma pratique depuis toujours.
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Photographie documentaire et collaborative | Journalisme narratif et écriture