Mon lac à la cache

« Sur la plupart des cartes, Cache Lake n'est qu'un point parmi d'autres taches bleues suffisamment grandes pour porter un nom, et à moins de savoir où chercher, vous ne le trouverez jamais. Mais un endroit comme Cache Lake est rarement découvert sur une carte. On tombe dessus, si on a de la chance. La plupart des hommes qui parcourent les forêts du Nord tombent tôt ou tard sur un lac ou un cours d'eau qu'ils ne peuvent oublier et où ils veulent toujours retourner. En général, ils n'y retournent jamais.
Cache Lake se trouve au cœur d'une région sauvage d’épinettes et de pins que peu d'hommes blancs connaissent, à l'exception d'un voyageur des bois comme moi et peut-être d'un trappeur de temps à autre. Mais les « Indiens » y trouvent du gibier, tout comme les grands loups gris qui parcourent les montagnes. Comme beaucoup d'autres choses qui en valent la peine, il n'y a pas de chemin facile vers Cache Lake, car il est protégé par la distance, kilomètre après kilomètre oublié de bois et d'eau, et il est toujours propre, clair et à l'abri de la civilisation. »

- John J. Rowland, Cache Lake Country.

Une cache est l’endroit où on dépose nos biens les plus précieux lorsqu’on est en forêt, afin de les retrouver intacts lors de notre retour. 

J’ai pagayé plusieurs lacs à la cache au cours de mes voyages dans les forêts du Nord. J’ai souvent imaginé avoir un camp sur le rivage, à l’ombre des grands pins et à la porte d’un territoire sur lequel vagabonder. Partir « en territoire », comme disent les Atikamekw et les Innus. 

Contrairement à John Rowland, nous ne vivons plus à une époque où on décide impunément de se construire un camp près d’un de ces lacs. Pendant 50 ans, je me suis contenté d’y installer un campement, le temps d’y boire un thé ou d’y passer quelques jours avant de repartir en trouver un autre. C’était ma façon de rester un nomade et de m’inscrire en territoire.

Mais avec les années qui passent, j'ai besoin de fuir le bruit, la frénésie de consommation et la constante agitation de la ville. Je me sens déphasé par la psychose épileptique qui affecte la société moderne.

J’ai besoin de respirer l'air pur et frais de la forêt du Nord, et ce, plus que pendant mes voyages et vagabondages. Avec les territoires sauvages qui disparaissent du paysage québécois, j’étais récemment de plus en plus résigné à m’installer et me déposer. Il me fallait trouver mon lac «À la Cache» et y avoir un camp de base.

Bien que la forêt du Québec ait été malmenée par la surexploitation anarchique pendant 150 ans et qu'elle soit aujourd'hui sillonnée par plus de 500 000 km de chemins forestiers, j’ai trouvé un territoire, pays des anciens clubs de chasse et pêche privés pour riches étrangers, qui est relativement préservé et peu fréquenté. Il fait partie d’une réserve de la biodiversité. Il y règne un silence qui n'est brisé que par la complainte d'un couple de huards et par le cri d’une chouette une fois la nuit tombée. Un ancien camp de chasse d'un club des années 40 en bordure de «mon lac à La Cache » est devenu mon camp de base. Un refuge autant qu'un havre d'écriture, de contemplation et d'observation de la nature où j'escompte passer beaucoup de temps afin d’explorer le territoire. 

Bivouac à Temagami, bivouac sous la toile en Matawinie, campement lors d'un voyage en canot, cabane de trappeur.

J’ai dormi des centaines de nuits à la belle étoile et j’ai connu des bivouacs sommaires. Je passe encore plusieurs nuits par année dans des campements de vagabond des forêts et des nuits d’hiver dans une ancienne cabane de trappeur, mais ici, dans ce chalet forestier en bordure d’un lac de tête, il y a juste le bon dosage de confort et de domestication pour me déposer, me reposer, lire, réfléchir, écrire et dessiner sans avoir à préparer une expédition.

En arrivant, je m’assois sous le porche du vieux camp et j’écoute le lac me chuchoter des histoires millénaires à l’oreille.

Je veux passer le maximum de mon temps hors vagabondage dans ce refuge où les choses sont simples et où chaque respiration me rappelle qu'il reste de la beauté et de la magie dans ce monde.

Il reste de la beauté et de la magie dans ce monde.

Ce chalet est en fait un ancien camp de chasse dans les forêts de la Haute-Mauricie. Ce que les Canadiens anglais appellent « the cabin ». Avec les années il a été rénové et décoré avec quelques touches de raffinements, mais il n’a rien à voir avec ce que sont devenus les « chalets » des Laurentides et de Lanaudière, ces maisons secondaires, extensions des maisons urbaines avec toutes les commodités du monde moderne et célébrations de la démesure. Ce chalet-ci a conservé son âme de camp et sa simplicité. Une grande pièce au mur de bois, avec un divan-lit près du foyer. L'âtre prend de bonnes bûches qui brûleront longtemps. Il est assez grand pour que les casseroles noircies que nous utilisons lors de nos voyages en canot puissent être placées là et mijoter à la chaleur. Nous pourrons y faire cuire de la bannique, et le vieux matériel de cuisine s'y sentira comme chez lui. Électricité solaire et gaz propane complètent les besoins minimaux en énergie.

Un chalet forestier qui a gardé son âme de vieux camp de chasse où il fait bon se lever avec le soleil pour écrire, dessiner et lire. Un foyer de pierres où le matériel de cuisine que nous utilisons lors de nos voyages en canot puisse servir même quand nous avons déposé nos sacs et surtout un endroit où il suffit de mettre le canot à l'eau pour partir sur le territoire pendant plusieurs jours.

Mais plus que tout, ce refuge est situé à la porte d’un immense territoire avec une sauvagitude comme il y en reste peu au Québec. Il était, jadis, sillonné par le « Nastawgan », ce réseau de sentiers de portages millénaires. Depuis 30-40 ans, ces sentiers ont disparu, mais il en subsiste néanmoins des parcelles et des traces.

Un portage du Nastawgan

Partir à la recherche des sentiers de portage traditionnel, exige de ne pas être pressé. Ainsi, un jour que nous remontions un sentier, aujourd’hui entretenu par des chasseurs d’orignal et suivant le parcours d’un de ces anciens portages, nous sommes arrivés dans une section où nous avions l’impression d’être dans une forêt vierge. Or, nous avons découvert des vestiges laissant penser qu’on est sur la bonne voie. Ici, une vieille canne de conserve prise dans les racines d’un arbre récemment renversée par le vent. Là, un clou de 8 pouces enfoncé dans ce qu’on devine être une vieille poutre équarrie à la hache et maintenant recouverte de mousse. Tranquillement nous réhabilitons les vieux sentiers et espérons parcourir les anciennes routes d’eau et de portages d’un territoire au passé riche en vie et en histoire.

La réhabilitation d’anciens portages oubliés ouvre la porte sur un voyage dans le temps donnant accès à un monde parallèle. Ce monde a sa propre toponymie. Outre le lac «À la cache», j’ai décidé d’utiliser les anciens noms de lacs retrouvés sur une carte centenaire. Plusieurs de ces endroits ont changé de nom depuis. Pour moi, ces nouveaux noms symbolisent maintenant le changement d’univers apparu avec la multiplication de chemins forestiers et la très grande dépendance aux engins motorisés que l’on retrouve dans les forêts du Québec. Si mon projet est une entreprise d’une autre époque, les noms des lieux se doivent aussi d’être ceux d’une autre époque.  Même que si j’ai accès aux noms originaux en Atikamekw, ce sera ceux que je privilégierai. 

Vestige d'un ancien pays du canot, le Nitaskinan des Atikamekw Nehirowisiwok est une zone de transition relativement sauvage entre la forêt Laurentienne et la forêt boréale. À partir du camp, je mets mon canot à l’eau, traverse le lac « À la cache » enrobé de vapeurs dorées et me dirige dans une baie, en direction d'un portage m'ouvrant la porte sur le territoire. J’emprunte ce vieux portage pour accéder à une série de lacs donnant sur la grande forêt âgée de 50 à 80 ans mais où il reste des parcelles de forêt ancienne. Ces arbres centenaires . 

Comme pour John J. Rowland, vous ne trouverez pas mon lac « À la cache » sur une carte. Même si le territoire n’est plus aussi sauvage qu’en 1910, il recèle des trésors qu’il vaut la peine de retrouver et de chérir. Nehirowisiwok, signifie «un être qui vit en équilibre et en harmonie avec son environnement» ou «humain naturel». Ce voyage dans le temps sera peut-être une inspiration pour que celui ou celle qui en fera la lecture se trouve un lac «À la cache». Ce nouveau voyageur pourra s’y arrêter, au moins pour le temps d’un thé, et s’étendre à l’ombre d’un pin géant pour qu’il s’intègre aux esprits de la forêt. Il deviendra, peut-être, lui aussi un «humain naturel».

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