Une course de nuit vers Rapide-Sept

«Au bout d’un moment, il arriva au bout de la piste et là, une paire de raquettes providentielle était plantée dans la neige.»

Mars 1960 - Jimmy avait 11 ans. Il vivait à Winneway avec son père et la nouvelle épouse de celui-ci, après que sa mère soit décédée. La vie dans le village le rendait nostalgique de la vie qu’il avait avant que son père se remarie. Il vivait au campement de Rapide-Sept, en pleine forêt dans les hautes terres entre le Témiscamingue et les Laurentides. En plein «Aki», le territoire ancestrale des Anishnaabes. À cette époque, son grand-père y vivait toujours et il savait que s’il y retournait, celui-ci l’accueillerait. C’est alors que Jimmy élabora un plan qu’il partagea avec son amie Rose.

- Demain plutôt que de me rendre à l’école, je vais partir en forêt pour aller rejoindre Micomis (grand-père), lui dit-il.

C’est ainsi que le lendemain matin, Jimmy prit la piste de l’autre côté de la rivière Winneway et s’enfonça dans la forêt. Au bout d’un moment, il arriva au bout de la piste et là, une paire de raquettes providentielle était plantée dans la neige.

Remerciant Kitci Manitou (le Grand Mystère), il se les mit aux pieds et continua. Il marcha ainsi toute la journée, traversant des lacs gelés, contournant des rivières aux eaux bouillonnantes et franchissant plusieurs kilomètres en pleine forêt. En arrivant à un camp de bûcheron abandonné, il réussit à s’introduire à l'intérieur et y trouva un morceau de pain gelé qu’il s’empressa de manger avant de poursuivre son périple. Combattant la fatigue, le froid et la soif, la voix de son grand-père résonnait dans sa tête.

« Ne mange pas de neige. Ça va étancher ta soif, mais voler ton énergie ».

« Si tu es fatigué, prends de courtes pauses, mais ne t’endors surtout pas ».

C’est ainsi qu’éclairé par la pleine lune, il arriva enfin à la rivière des Outaouais, près du Rapide-Sept. En longeant les rives de la rivière et en contournant les passages d’eau libre, il aperçut la lumière du camp de son grand-père. Oubliant sa fatigue, il enleva ses raquettes, courut les derniers mètres jusqu’à la cabane et ouvrit la porte devant le regard surpris de ses grands-parents. Ceux-ci ne croyaient pas que leur petit-fils avait fait ça seul. Son grand-père sortit pour aller à la rencontre des autres, mais il ne trouva personne. On lui donna à manger près du poêle à bois.

Beaucoup plus tard, son père qui s’était rendu compte de l’absence de Jimmy arriva au camp. Le grand-père eut une longue discussion avec son fils et il fut décidé que Jimmy resterait au campement jusqu’en septembre. Il passa donc ces derniers mois avec son grand-père, à apprendre les rudiments de la vie en forêt selon les traditions Anishinaabés.

À l'automne suivant, il partit pour le pensionnat… Mais ceci est une autre histoire.

Mars 2020 - À quelques jours de la pleine lune de mars, je suis assis au bout de la table chez Jimmy, 60 ans après sa course vers Rapide-Sept. Encore aujourd'hui, il ne sait toujours pas qui avait mis les raquettes au bout de la piste.

Fier de me partager cette histoire — peut-être pour la deux ou troisième fois depuis que je le connais — il croit dur comme fer que c’est sa boussole intérieure qui le guida jusqu’au campement de son grand-père. Quoi qu’il en soit, maintenant que sa santé est fragile, il chérit ce souvenir, tout en serrant sa canne dont la poignée est faite de bois d'’orignal.

Comme l’orignal, il a fait son chemin, à travers les bois comme dans la vie.

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