À la rigueur de tous les temps - partie VI

Sixième article d’une série sur les principes de thermorégulation appliqués aux voyages en territoires sauvages et sur les propriétés des différents matériaux de vêtements de plein air, incluant quelques déboulonnages de mythes. Cet article-ci fait le suivi sur l'article III.

(Vous retrouverez les articles précédents sous l'onglet «Conseils» du Journal.)

Tracer la piste dans la neige après une tempête, tirer un traîneau chargé (poêle de fonte, nourriture, matériaux de construction, vêtements, outils), bûcher, débiter et corder du bois de chauffage, marcher en forêt et sur les lacs, pister les animaux de la forêt, appeler les loups après s’être brossé les dents sur le lac gelé, vivre la vie de cabane en bordure d’un lac sauvage. Voilà les activités que j’ai faites cet hiver. Ce fut un hiver somme toute assez doux. Les températures de jour ont varié entre -18˚ C, avec des pointes de vents à 50 km/h et +8˚ C. Nous avons évolué par des journées ensoleillées et nuageuses, sous le vent, la neige, la neige mouillée et la pluie.

Ma grand-mère aurait dit que j’ai passé mes journées d’hiver en forêt en queue de chemise et la fale à l'air! La vérité est un peu plus complexe que ça, mais c’est ce que je retiendrai de l’hiver 2024.

Dans la partie III de la série «À la rigueur de tous les temps», j’ai énuméré les vêtements que je porte en couches superposées pendant l’hiver. Je n’ai guère dérogé à ce système de pelures à base de laine, mais j’ai pu tester une nouvelle chemise (Maine Guide Lightweight Merino Wool Field Shirt de LL Bean).

En résumé, les couches de laine adsorbent 30 % de leur poids en eau sans donner la sensation d'être mouillée, car l'eau adsorbée est piégée à l'intérieur des fibres et non en contact avec la peau. L’extérieur d'une fibre de laine perd de l'eau... donc même si la laine est littéralement trempée, elle séchera rapidement à l'extérieur et sera sèche au toucher, car l'eau est uniquement retenue à l'intérieur de la fibre. La laine est également un matériau hygroscopique. C'est-à-dire que lorsque la laine est complètement sèche, elle absorbe l'eau de l'air jusqu'à ce qu'elle atteigne un équilibre avec l'air ambiant. Ce processus d'équilibre avec l'air ambiant est appelé "conditionnement". À l'intérieur de la fibre de laine, la vapeur d'eau se lie au cortex, produisant la chaleur d'adsorption. Là encore, toute adsorption est exothermique... et génère de la chaleur. Pour plus de détails sur ces mécanismes, veuillez vous référer à l'article de la partie III.

Voici le détail de cette série de pelures ainsi que le nombre d’années d’utilisation:

1- Tuque de laine (ou béret en feutre de laine comme sur la photo de couverture).

2- Chandail Henley en mérinos léger (en fait, c’est un tricot très léger que je porte à l’année en forêt) - 14 ans.

3- Polo de jersey de mérinos - 13 ans.

4- Chemise en polycoton 65/35 de 5.11 - 11 ans, en alternance avec la chemise LL Bean.

5- Veste de canevas Boreal Mountain Anorak - 3 ans.

6- Surchemise de laine Swaandri - 2e hiver (ou une Big Bill rouge vieille de 10 ans).

7- Anorak en coton Lure of the North - 3e hiver.

Après la tuque de laine, les deux items qui suivent sont, pour moi, éprouvés depuis longtemps. Ils offrent une polyvalence et un confort par toutes températures. Ceux qui ont regardé la vidéo du voyage de canot à Quetico de septembre 2023 auront remarqué que ce fut mon unique combinaison (avec un T-shirt) de tous les jours.

Les trois derniers items sont aussi coulés dans le béton. La veste sans manches (qu’il m’est arrivé d’alterner avec une vieille veste multipoches en tissus synthétiques, pour voir la différence) m’assurait de garder mon torse au chaud en coupant le vent, tout en permettant aux couches inférieures de bien gérer l’humidité. Elle permettait aussi d’offrir une certaine protection à la chemise de laine lors des travaux plus robustes. La différence entre la veste de canevas et celle en tissus synthétiques se situait plus au niveau du nombre de poches et le choix éthique d’éliminer le plus possible ou non les fibres synthétiques de mes vêtements. La surchemise de laine (la Swaandri verte ou la Big Bill rouge) était une couche de confort inégalée lors des arrêts ou pour aller casser la glace pour puiser l’eau sur le lac par -25˚ C, et elle aurait été une couche à ajouter pendant l’action si on avait eu des froids polaires, tandis que j’enfilais l’anorak dès que le vent se levait ou que la poudrerie défilait sur les lacs.

Là ou il y a eu plus d’alternance et tergiversation fut pour le choix de la chemise à porter sous la veste sans manches. La douceur de l’hiver m’a permis de mettre la chemise de polycoton, une bonne partie de l’hiver. Elle gérait l’humidité, quoique pas aussi bien que la laine, et les couches inférieures en laine faisaient leur travail. Je n’ai jamais frissonné, mais il m’est arrivé d’être à la limite du confort. Son gros avantage est la robustesse lors des travaux.

Il m’est arrivé de porter ma chemise de feutre de laine Anian, mais comme je l’avais mentionné dans la partie III, sa coupe très cintrée n’en fait pas un bon choix pour le voyage en forêt. Elle est conçue pour les activités urbaines ou de chalet.

J’ai mis la chemise de laine LL Bean de mon fils Vincent à deux reprises. Lors de la journée avec les températures les plus froides (-18˚ plus des pointes de vents à 50 km/h) et sous la neige autour du point de congélation alors que la chemise de polycoton était trempée. Son confort inégalé, sa polyvalence et sa coupe conçue pour l’action et le travail font que je m’en suis commandé une.

En fait, la chemise de laine légère LL Bean sera de tous mes voyages de plusieurs jours en forêt, à l'année longue. Par temps frais ou froid (< 15˚C) j'opterai principalement pour la chemise de laine et j'aurai une chemise de «travail» en réserve et lorsque le besoin de robustesse l'exigera. Une fois la chaleur installée (> 15˚ C), la chemise de coton deviendra la couche principale et celle de laine sera en renfort pour contrer la fraîcheur du «fond de l’air» présente même en été ou sous mon anorak ciré lors des journées pluvieuses.

Au niveau des membres inférieurs, je ne me suis jamais posé de questions. Le sous-vêtement léger et le pantalon de laine ont été de mise tout l’hiver. Ils m’ont tenu au chaud et ont géré l’humidité à la perfection, peu importe ce que la météo nous envoyait. Même lors des journées venteuses, je n’ai jamais senti l’air passer à travers et lorsque je me couchais le soir venu, il n’y avait aucune trace d’humidité perceptible.