La voie du canot
"La voie du canot est la voie de la nature sauvage, et d'une liberté presque oubliée."
Sigurd F. Olson
Texte et photos: Marc-André Pauzé
(Cet article est seulement un court extrait d'un texte mettant en valeur l'art du voyage par canot et la relation que j'entretiens avec les territoires sauvages.)
Le canot repose sur la berge sablonneuse d’un grand lac d’une forêt laurentienne ancestrale. Les sacs sont déposés à côté. Le temps d’arrimer le tout et nous partons sur le lac, même si le vent commence à soulever des vagues.
Depuis des millénaires, le canot a été, et est toujours, le meilleur moyen d’explorer les vastes territoires sauvages du Canada. Si la randonnée pédestre nous limite aux quelques centaines de kilomètres développés à coup de pelles et de pioches, parsemés sur d’infimes parcelles de territoires, le canot, lui, nous donne accès à des milliers de kilomètres carrés de lacs, de rivières et de forêts, reliés par des portages ancestraux.
La randonnée nous fait «visiter» les grands espaces à l’aide de sentiers avec de plus en plus d’infrastructures alors que le canot nous amène à nous mettre les pieds dans l’eau et à dormir à même le sol. Ce n’est pas du camping. C’est vivre une relation avec la forêt.


Rivière du Poste, Haute Matawinie (1991)
«(...) le canot nous amène là où les animaux vivent»
Pendant plusieurs années, j’ai avironné et portagé mon canot dans les forêts du bouclier canadien, puis j’ai usé mes semelles sur les sentiers du monde, souvent en montagne. Maintenant que mes jambes sont un peu plus lourdes, le chant de l’aviron et la convivialité d’un bivouac de voyageur me rappellent que voilà une belle façon de partir et retrouver cette forêt laurentienne ou boréale qui a su conserver quelques traces de sauvagitude.
Pour cette première excursion depuis plusieurs lunes, nous avironnons en territoire ancestral Attikameqw, dans la Haute-Mauricie. Yves à l’avant, moi à l’arrière. La mémoire du corps réveille la gestuelle. Les coups «à la canadienne», les appels, les écarts en godille et les appels débordés sont de plus en plus précis. Nous anticipons les vagues, le courant et le vent afin de garder le canot sur une course stable et rapide avec peu de mots échangés entre nous. Le rythme se synchronise avec le chant de l’aviron.
Bill Mason disait que «quiconque dit qu’il aime le portage est soit un menteur, soit un fou» et il avait raison. Les portages sont souvent durs et parfois pénibles, mais c’est un mal nécessaire. Ce sont eux qui préservent les vrais espaces sauvages. Si une route ou une piste qu’un véhicule à moteur peut emprunter existe, elle ne mène pas à un territoire vraiment sauvage. Le portage est la porte d’entrée dont notre labeur est la clé. C’est le passage vers un territoire que peu empruntent, et ceux qui le font savent la valeur de ce qu’il y a au bout.

Les jours se suivent au rythme de l’aviron, des portages et de notre routine de campement. Beau temps, mauvais temps, notre ordinaire, une nourriture simple et frugale, est cuit sur le feu.
Pour la dernière portion du parcours, je laisse Yves à un portage de 2,5 km qu’il franchira chargé uniquement d’un sac. Il retrouvera l’automobile et viendra m’attendre au bout du lac. Moi je poursuivrai en solo. Ces quelques heures à avironner seul avec mon barda sont des moments de pures félicités. Je me sens en contact avec l’essence même de qui je suis, en totale immersion dans un environnement qui m’accueille avec bienveillance.


Le voyage de canot en arrière-pays nous permet de vivre en toute simplicité une connexion unique et authentique avec la nature sauvage. Nous avançons à la force de nos coups d’aviron dans une petite embarcation dont la silhouette toute en courbe est un chef-d’œuvre d’harmonie. Ce véhicule, véritable fondement de notre culture, contient les sacs qui nous permettent de vivre dans cette nature qui nous accueille en son sein.
Au gré de notre progression sur l’eau, j’entends les voix des voyageurs d’autrefois s’harmoniser avec le chant de l’aviron.
«C'est l'aviron qui nous mène qui nous mène. C'est l'aviron qui nous mène en haut...»

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Ce récit s’inscrit dans une approche d’écrivain-reporter visuel, alliant rigueur journalistique, écriture immersive et photographie documentaire. Chaque image, chaque texte, est né d’une expérience vécue, où j’étais non seulement témoin, mais aussi partie prenante de l’histoire.
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