Notre sauvagitude - se réapproprier notre naturalité

«Je me déleste de mon barda d’homme dénaturé à mesure que disparaît le sillage du canot dans l’eau et je me renaturalise avec chaque portage franchi me séparant du monde domestiqué laissé derrière. »

Note de mon carnet de vagabondage

Fin septembre 2022 - Retour de trois semaines passées dans les « Pays-d’en-Haut ». Un vagabondage à Quetico, au pays des esprits de la forêt sauvage et des géants, mais aussi au pays des esprits des voyageurs canadiens-français et métis ainsi qu’à ceux des Nakawēk, que nos ancêtres ont nommés « Saulteaux » — les sauteurs de rapides —, une branche des Ojibwés.

Quetico est un territoire naturel où l’impact humain est minimal. Ce parc de 4 760 km2 (1 180 000 acres) n’a vu pratiquement aucune intervention humaine depuis plus de 100 ans. Il n’a pas changé depuis qu’il a vu passer les derniers voyageurs il y a 150 ans. Il n’y a aucune trace de domestication. Là où l’humain a vécu, la forêt s’est réappropriée sa naturalité. C’est une forêt sans construction d’aucune sorte si ce n’est les foyers de cuisson des campements. On n’y retrouve aucune route ni chemin mis à part les pistes de portage.

Les traces humaines se limitent à des sites de campements rustiques que l’on remarque que si on sait quoi chercher, des portages millénaires, des peintures rupestres sur certaines falaises rocheuses et quelques artefacts ici et là de l’époque de la colonisation du Nord-ouest. C’est ce qui s’approche le plus de la forêt du Bouclier canadien originel.

Lors de notre voyage, nous avons composé avec des symptômes de Covid, une perte pondérale de 15 livres et une blessure musculaire qui nous a ralentis, mais ces imprévus nous ont libérés des contraintes de kilométrage reliées à l’objectif de départ qui était de faire une boucle historique de 250 km. Plutôt qu’un voyage par canot, nous avons fait un vagabondage par canot.

La résultante de notre voyage à Quetico s’intègre parfaitement avec le projet « Notre sauvagitude - se réapproprier notre naturalité ». Il semble donc opportun de le représenter, bonifié des réflexions issues de notre temps long passé en forêt.

L’étymologie du mot « sauvage », du latin "sylva", "salva", "sylvia", veut dire « de la forêt ». Donc une forêt sauvage ne veut pas dire grand-chose (une forêt de la forêt). La « wilderness » est un concept abstrait reposant sur une construction sociale culturelle. La définition américaine de la « wilderness » — son origine — veut dire « un territoire qui n'a jamais été cultivé ou habité par l'homme». La forêt du Bouclier canadien originel n’est pas dépourvue de la présence humaine. Mais celui-ci s’y est intégré avec plus ou moins d’harmonie, selon les époques.

Foyer de cuisson traditionnel, représentation de pictogramme Anishnabe (les pictogrammes sont sacrés et les photographier n'est pas encouragé par les communautés autochtones), vestiges d'un gouvernail et d'un arbre de transmission remontant au transport des militaires et colons allant vers le Manitoba.

Dans notre projet « sauvagitude », Yves et moi voulons nous intégrer avec un minimum d’impacts. Nous souscrivons au concept de « sans traces », mais avec un bémol. Il est illusoire de vouloir faire une activité sans traces, mais que pour se faire on doive construire des chemins, des sentiers et des infrastructures touristiques. Ça, c’est domestiquer la nature pour en faire un parc d’attraction. Nous préférons aller sur un territoire peu, voire pas fréquenté, et y vivre un temps long, le plus long possible.

L’humain a déjà fait partie de la nature et il est encore possible de s’y intégrer. Nous, nous avons choisi de le faire avec des matériaux naturels, des équipements d’inspiration traditionnelle et de réduire ainsi la dépendance aux produits de l’industrie pétrochimique autant que possible. Cette réduction exige de retrouver des alternatives produites par des artisans, ce qui requiert un plan budgétaire. L’équipement traditionnel est plus durable, robuste et il convient mieux à la vie en forêt que les matériaux modernes. Ceux-ci sont faits pour visiter la nature. Ces matériaux traditionnels nous amènent à ralentir puisque souvent ils sont plus lourds que les équipements de fibre moderne, mais avec ce choix, nous avons aussi opté pour des techniques de transport traditionnelles comme l’utilisation de la sangle de portage frontale. Les techniques de portage traditionnelles nous permettent de porter plus lourd en économisant notre énergie et en amenuisant les effets sur notre corps.

« Notre sauvagitude - se réapproprier notre naturalité » est un nouveau projet à long terme qui fait suite au "Manifeste d'un vagabond" et qui nous ramène, mon compagnon d’aventures, Yves, et moi, à nos sources. Il devrait nous occuper pendant quelques années à venir, prendre forme et évoluer en fonction de nos capacités. Nous voyagerons souvent ensemble et quelques fois chacun de notre côté, mais nous nous retrouverons et essayerons de partager par différentes productions, notre passion et notre culture de la nature. Une nature où les traces humaines sont non pas absentes — l'humain fait partie de la nature — mais minimales et subtiles. Ce qu'on appelle aujourd'hui, une nature "sauvage".

Je référerai qu’occasionnellement au concept de « forêts sauvages » ou « territoires sauvages ». Ce sont les parcs, territoires et environnements dits civilisés ou plutôt domestiqués qui doivent être désignés comme étant artificiels. Un milieu naturel est, par définition, toujours sauvage (au sens contemporain).

Ce projet vise à se reconnecter aux environnements naturels où l’humain a laissé peu de traces, avec le minimum d’encadrements et d’infrastructures, ce qui implique de la curiosité, le sens de l’aventure, de l’autonomie ainsi que les savoir-faire anciens et modernes, tout en mettant en valeur le patrimoine naturel et historique en rapportant, comme je le fais d’habitude, des réflexions, des récits, des photos, des dessins et des aquarelles.

Il s’agit de sortir des sentiers battus, d’explorer, de prendre son temps, de se fondre autant que possible, et de parcourir le territoire en intégrant, autant que possible, des vêtements d’inspiration traditionnelle, résistants et fabriqués de fibres naturelles. D’utiliser peu d’équipement et de les choisir parce qu’ils favorisent cette connexion avec notre passé, notre savoir-faire et notre territoire.

Ces outils et ces vêtements n’ont pas pour objectif de nous faciliter la vie et de nous couper de notre environnement. Ils nous permettent d’y vivre pour un temps donné et long. Il ne s’agit pas non plus de survivalisme. Le terme « survie » implique un combat, une détresse obligeant son adepte à vivre au-delà d’un événement dramatique. Quand nous allons dans un environnement naturel, on ne veut pas y survivre. On veut y vivre, le plus simplement possible.

«Seule la montagne a vécu assez longtemps pour écouter objectivement le hurlement du loup.»

Aldo Leopold

L'humanité a passé 99% de son histoire dans une nature préagriculture. S'éloigner du confort civilisé pour communier avec la nature ne nécessite pas d'infrastructures ni d’aménagements, car nous nous sommes réapproprié notre naturalité. Il ne s'agit plus de visiter la nature sauvage comme des étrangers, mais de la traverser comme si nous rentrions chez nous. Nous n'abordons plus un territoire « sauvage » comme étant "hostile" ou inhospitaliers. Notre présence n'est qu'un passage, plus ou moins long, qui assure au mieux la préservation de l'intégrité, de la stabilité et de la beauté de ce que nous voyons.

Ce projet implique de se déplacer par canot, à pied sur de courtes portions en saison hors gel, et en raquettes pendant l’hiver. Il implique de dormir à même le sol ou suspendu entre deux arbres et de laisser un minimum de traces. De se protéger des intempéries, mais accepter d’être en contact avec ces intempéries. C’est difficile et ça demande des efforts. C'est dur, mais il faut l’aborder sans résister, sans vouloir conquérir. En fait le plus difficile est de résister à notre construction sociale basée sur la performance et l’exploit. Cette difficulté est la porte d'entrée d'un monde naturel dont notre travail est la clé.

Il y a un vieil adage qui s’applique ici. «The more you know, the less you need». C’est en accédant avec respect et contemplation au sanctuaire naturel qu’est la nature plutôt qu’en la voyant comme un décor à nos exutoires frénétiques de néo-agités, qu’on peut redevenir humain. C’est par le réensauvagement qu’on peut redevenir humain.

Se fondre dans la nature c'est se connecter intimement avec un organisme vivant. Je deviens le territoire dont je fais partie. En préservant l'intégrité de cet organisme. Nous contribuons à sa préservation, et donc à notre propre préservation.

«Une culture de la nature, ça se développe sur le long terme. Une fois qu'on l'a développée, elle fait partie de nous. Ce n'est pas une activité récréative que l'on fait la fin de semaine, pendant les vacances, par émulation dans une quête identitaire. La culture de la nature nous habite et nous définit.»

Yves Nadon, travailleur social, formateur en écosystémie et vagabond de la forêt.

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