Brigitte Bardot et les limites du militantisme émotionnel

Le militantisme de Brigitte Bardot contre la chasse aux phoques a marqué l'histoire de la protection animale. Il a aussi causé des dommages durables aux communautés côtières et inuit, tout en produisant des effets écologiques inverses à ceux recherchés. Son parcours illustre une limite fondamentale : l'indignation ne remplace ni la connaissance, ni la rigueur, ni la justice sociale. Retour sur un cas d'école.

«Nous ne pouvons pas protéger l'environnement sans comprendre les besoins des personnes qui y vivent. La conservation doit servir à la fois la faune sauvage et les communautés humaines, sinon elle finira par échouer.»

- Jane Goodall

Texte et illustration : M-A Pauzé

Brigitte Bardot, décédée récemment, est souvent célébrée comme une figure emblématique de la protection animale. Dans les années 1970-1980, sa médiatisation de la chasse aux phoques a effectivement contribué à éveiller une sensibilité nouvelle dans l'opinion publique occidentale face à certaines formes d'exploitation animale. Toutefois, cette reconnaissance tend à occulter une réalité plus complexe : son militantisme repose largement sur une approche émotionnelle, simplificatrice et décontextualisée, qui a causé des torts humains, culturels et écologiques considérables.

Le cas emblématique : la chasse aux phoques

La campagne contre la chasse aux phoques illustre les limites de cette approche. En mobilisant des images chocs et une rhétorique morale binaire, ce militantisme a volontairement confondu des réalités pourtant très différentes : chasse industrielle aujourd'hui disparue ou réglementée, chasse artisanale aux Îles-de-la-Madeleine, et chasse de subsistance pratiquée par les Inuit depuis des millénaires. Cette absence de distinction a contribué à une mobilisation internationale massive, menant à des interdictions commerciales et à une stigmatisation généralisée de toute forme de chasse au phoque.

Les conséquences ont été multiples et profondes. Aux Îles-de-la-Madeleine, des communautés entières ont vu s'effondrer une source essentielle de revenus, alors même que la chasse locale, pratiquée à petite échelle et réglementée, ne menaçait pas la viabilité de l'espèce. Chez les Inuit, ces campagnes ont porté atteinte à la souveraineté alimentaire, à l'économie locale et à la dignité culturelle, tout en renforçant des dynamiques de dépendance et de marginalisation déjà présentes. Plusieurs voix autochtones ont dénoncé à juste titre une forme de néocolonialisme moral, où une sensibilité urbaine occidentale s'impose à des peuples qui vivent en interaction directe et durable avec leur environnement depuis des millénaires.

Des effets écologiques paradoxaux

Plus troublant encore, ces interdictions n'ont pas produit les bénéfices écologiques attendus. Dans certaines régions comme le sud du golfe du Saint-Laurent, l'absence de gestion équilibrée a contribué à des situations où la prédation par les phoques gris entrave maintenant la récupération de stocks de morue déjà effondrés par des décennies de surpêche industrielle. Ironiquement, en diabolisant toute forme de chasse et en imposant des interdictions commerciales aveugles, ces campagnes ont empêché l'émergence d'une gestion écosystémique nuancée qui aurait pu bénéficier à la fois aux communautés humaines et à la santé des écosystèmes marins.

Une compassion fragmentée

Ce cas illustre une limite fondamentale du militantisme porté par Brigitte Bardot : une compassion sélective, focalisée sur certaines espèces symboliques – celles dont les yeux ou les comportements évoquent l'humanité –, sans considération suffisante pour les humains concernés ni pour l'équilibre global du vivant. Défendre les animaux tout en ignorant les réalités sociales, culturelles et écologiques des communautés qui cohabitent avec eux revient à fragmenter le vivant plutôt qu'à le protéger.

La comparaison avec des figures comme Jane Goodall est éclairante. Là où Goodall articule science, éthique, écologie et éducation dans une vision cohérente qui intègre les besoins des communautés locales, Bardot incarne un militantisme de l'indignation, efficace sur le plan médiatique mais limité en rigueur et en profondeur. Son engagement ne s'inscrit pas dans une pensée du long terme, ni dans une réflexion sur la cohabitation durable entre humains et non-humains.

Une hiérarchisation troublante du vivant

Cette fragmentation prend une dimension particulièrement problématique lorsqu'on considère l'ensemble du parcours public de Brigitte Bardot. Au fil des années, ses prises de position ont révélé une cohérence troublante : une défense passionnée de certaines formes de vie animale, combinée à des déclarations publiques ouvertement racistes et excluantes envers certains groupes humains. Condamnée à plusieurs reprises par la justice française pour incitation à la haine raciale, notamment envers les communautés musulmanes et les populations d'origine maghrébine, elle incarne une hiérarchisation du vivant où toute vie ne se vaut manifestement pas. Cette dimension n'est pas anecdotique : elle révèle l'absence d'une éthique véritablement universelle du vivant et questionne la cohérence morale d'un militantisme qui protège certains êtres tout en dévalorisant explicitement d'autres.

Leçons pour un militantisme écologique rigoureux

Brigitte Bardot apparaît ainsi moins comme une référence éthique durable que comme une figure médiatique de transition. Elle a contribué à déclencher certaines prises de conscience nécessaires, mais elle incarne aussi les dangers d'un militantisme fondé sur l'émotion immédiate plutôt que sur la compréhension des systèmes complexes. Son parcours rappelle qu'il n'existe pas de réponse simpliste à des problèmes écologiques profondément enchevêtrés dans des réalités sociales, culturelles et économiques.

Ce parcours rappelle une leçon essentielle : l'indignation ne remplace ni la connaissance, ni la rigueur, ni la justice sociale. Défendre le vivant exige d'accepter la complexité des écosystèmes, de reconnaître les savoirs locaux et autochtones, et de penser les interdépendances entre toutes les formes de vie – humaines et non-humaines. Cela demande du temps, de l'attention, de la nuance. Cela demande de résister à l'attrait des symboles médiatiques et des oppositions morales binaires. Sans cette exigence de rigueur et d'inclusivité, même les causes portées au nom du bien peuvent devenir, paradoxalement, des facteurs de déséquilibre et de destruction.

Pour aller plus loin:

Film documentaire

Angry Inuk (2016), réalisé par Alethea Arnaquq-Baril

Disponible sur l'Office national du film (ONF)

Ce documentaire primé suit une nouvelle génération d'Inuit qui utilise les médias sociaux pour contester les perceptions établies sur la chasse aux phoques. La réalisatrice inuit Alethea Arnaquq-Baril donne la parole aux chasseurs, aux artisans et aux familles pour qui la chasse au phoque représente une part essentielle de leur subsistance et de leur souveraineté alimentaire. Le film documente leurs efforts pour faire renverser l'interdiction européenne sur les produits dérivés du phoque et critique ouvertement des organisations comme Greenpeace et le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) pour avoir volontairement ignoré les besoins des communautés nordiques vulnérables.

Le documentaire expose comment ces campagnes ont établi une fausse distinction entre chasseurs inuit pratiquant la chasse de subsistance et chasseurs commerciaux motivés par le profit, alors que les interdictions ont frappé indistinctement toutes les communautés dépendant de cette ressource. Angry Inuk a remporté le Prix du public au festival Hot Docs en 2016 et figure dans le palmarès Canada's Top Ten du TIFF.

Études scientifiques et contexte écologique

Sur la complexité des écosystèmes marins

L'étude récente de Vajas et al. (2025), "Increase in Harp Seal Ecosystem Role After the Cod Collapse in Newfoundland & Labrador" publiée dans Fish and Fisheries, offre une analyse nuancée des relations entre phoques et morues dans l'Atlantique Nord-Ouest. Les chercheurs démontrent que la dynamique écologique est beaucoup plus complexe qu'une simple relation prédateur-proie et que le déclin du capelan (poisson-fourrage) joue un rôle central dans la non-récupération des stocks de morue.

Dans le cas spécifique du sud du golfe du Saint-Laurent, des études du ministère des Pêches et Océans Canada documentent comment la surpopulation localisée de phoques gris – passée de 8 000 individus en 1960 à près de 400 000 aujourd'hui – entrave désormais la récupération de la morue dans cette région particulière. Cette situation illustre les limites d'une approche qui diabolise toute forme de gestion plutôt que de favoriser une gestion écosystémique équilibrée.

Un article de vulgarisation accessible : "Are harp seals hampering cod recovery?" - The Wildlife Society (2025)

Voix autochtones

Sheila Watt-Cloutier, activiste inuit, ancienne présidente du Conseil circumpolaire inuit et nominée au Prix Nobel de la paix, a documenté dans son livre The Right to Be Cold (2015) comment les campagnes anti-fourrure et anti-chasse ont érodé la souveraineté alimentaire et culturelle des Inuit.

Dans une entrevue au Globe and Mail, elle explique : "Les gens ne comprennent pas pourquoi nous voudrions encore chasser et manger du phoque plutôt qu'aller au supermarché acheter du poulet et des côtelettes de porc. Ils ne comprennent pas l'importance pour nos communautés de continuer à respecter et à intégrer la sagesse qu'enseigne une culture de chasse. La terre, la glace et la neige sont un terrain d'entraînement pour développer son sens de soi et son caractère."

Elle souligne également que lorsque les bien-pensants imposent leurs solutions sans consultation, ils reproduisent les dynamiques coloniales : "Ne partez pas en mission pour nous sauver. C'est la cause profonde des problèmes auxquels nous faisons face : on ne nous a donné aucun sens de notre propre sagesse pour traiter les enjeux, on ne nous a pas donné la voix pour aborder ces questions de nos perspectives."


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